samedi 31 août 2019

Simulacre - Chapitre 4 - La première rencontre

Voici le quatrième chapitre de Simulacres (Pierre Rousseau, 1995; ancien titre Dague)

04 La première rencontre


Pierrick Richelet manifestait une joie exubérante, voire surhumaine.

- Il vient de l'Afrique du Nord, d'un désert, dit-il. Il s'appelle Alamud. Après une peine d'amour, il s'est sauvé au Canada. Mais il n'a plus d'argent pour retourner chez lui. Il dit que son père, qui est très riche, ne voudra pas lui envoyer l'argent pour l'avion de retour. Il ne savait plus que faire. Que voulais-tu que je fasse? C'était bien le minimum pour les projets qu'il a pour moi.

Pour l'encourager à continuer, Bérénice Cadès l'écoutait attentivement. Il lui serait facile d'insinuer dans son esprit un doute qui diminuerait drastiquement son optimisme. Elle l'aimait et désirait garder intacte l'exubérance qu'il manifestait en ce moment, car elle n'avait pas souvent l'occasion de le voir heureux, lui qui presque chaque jour traînait dans ses yeux et dans ses pas, une nostalgie indéfectible.

Bérénice était une jeune femme de petite taille, presque svelte, riante et heureuse avec des yeux pétillants comme seules peuvent en avoir les femmes bien dans leur peau et dans leur tête. Elle riait, ou souriait toujours au maximum des muscles de ses joues qui avaient tracé aux coins de ses yeux ces longs plis profonds qui lui donnaient un air sympathique.

Elle portait un débardeur en coton fermé par des agrafes avec, entre les seins, un petit nœud en ruban. Sa peau très blanche - de celle qu'on n'expose jamais au soleil - dégageait une sensualité vive, comme si elle coulait d'une source. Son nez, un peu long, pointait dans une direction qui n'était pas nécessairement celle de son regard, et les gens, trompés par ce subterfuge, suivaient la ligne d'arête de son nez: elle donnait ainsi l'impression de souvent regarder les gens à la dérobée.

Pierrick et Bérénice étaient attablés à la terrasse Van Houtte incrustée sous l'escalier affaibli par la rouille menant à l'Angerie - demain les anges! - et à la joyeuse boutique Népenthès. Juste en face, le théâtre Saint-Denis, mariant l'ancien et le nouveau dans son architecture, annonçait: Glenn Miller et Alain Choquette, Henri Des et André-Philippe Gagnon; Sarah McLachlan, Sonia Misnoud et Country-Crows.

Pierrick montra à Bérénice, et à bout de nez, une bague magnifique:

- Elle vient de son père. Le rouge est traditionnel là-bas.

C'était une bague d'aspect robuste et solide, entourée avec de légers grelots et ornée de motifs appliqués en filigrane et en granulé, avec un beau grenat au centre. Bérénice aimait les bijoux mais en portait peu, ne trouvant jamais celui qui convenait à son humeur.

- Par ces paroles, et par cette bague aussi, il m'a convaincu de sa bonne foi, expliqua Pierrick. Toute la soirée d'hier, j'ai visité mes amis et j'ai réussi à ramasser les 1000$ pour son billet d'avion. Il est parti ce matin après le petit déjeuner. Il avait un grand sourire confiant quand je l'ai salué sur le trottoir. Il m'a renouvelé ses promesses. J'ai même eu l'impression qu'il voulait m'embrasser. C'est leur coutume je pense, pour démontrer leur confiance en quelqu'un.

- Il est Arabe, tu m'as dit? demanda Bérénice qui doutait de ce fait.

- Oui, je pense. Il est drôle tu sais. Il aime sentir les autres, notre haleine par exemple. Et il parle toujours en face, jamais de côté. Et sais-tu comment il appelle la masturbation: «Le secret». Son père est dans les import/export. Il est riche à millions. T'imagines?

Ses yeux s'illuminèrent.

- Tu as vu son passeport? demanda Bérénice.

- Non, répondit-il, étonné d'une telle question.

Bérénice absorbait avidement la joie qui rayonnait dans les yeux de Pierrick, et décida de ne plus poser de questions qui mettraient en doute ses propos quelque peu décousus.

- Tu as l'air ivre! observa Bérénice tout en mordant à belles dents dans son mouflet au polata.

Au-dessus, quelqu'un monta bruyamment l'escalier branlant, faisant tomber quelques minuscules morceaux de fer rouillé sur la table. Elle protégea son café en mettant sa main au-dessus de la tasse.

- Je suis ivre, Bérénice! fit Pierrick. Je suis ivre de bonheur! Tu sais ce que c'est le bonheur Bérénice? Le bonheur, c'est ce que je suis, là, en ce moment. Le bonheur personnifié, le bonheur vrai et réel. Mais tu ne sais pas encore tout ce qui m'est arrivé. Premièrement, j'ai sauvé la vie de ce gars. T'imagines, moi, sauver la vie de quelqu'un?

- Comment ça? s'inquiéta Bérénice.

- Au parc Lafontaine. Des skin-heads voulaient lui faire la peau. Je suis allé parlé à Alamud pour montrer que j'étais avec lui. Les skin-heads n'ont pas insisté.

- Tu as risqué ta vie! Ils auraient pu s'en prendre à toi aussi! 

En disant cela, elle avait appuyé ses coudes sur la table, s'approchant de Pierrick comme pour le protéger malgré lui, faisant de son corps un bouclier contre d'éventuels assaillants. Sa crainte était réelle, car Pierrick se rendait vulnérable en demeurant inconscient des périls, autant physiques que moraux, que des personnes mal intentionnées pouvaient lui faire subir. Mais ici, il n'y avait pas de dangers. Dans cette terrasse demi-sous-sol, les gens lisaient, discutaient, ou regardaient les jambes des passants à travers les barreaux d'un garde-fou fleuri.

- Je sais, avoua Pierrick. Je ne sais pas ce qui m'a poussé à faire ça. Peut-être le souvenir du petit bateau échoué. Mais tu vas voir que je vais être récompensé au centuple. Et pas seulement par cette bague de grande valeur. T'imagines, c'est un souvenir de son père. Tu vois qu'il apprécie ce que j'ai fait pour lui. C'était normal que je lui prête 1000$, puisqu'il va me remettre mille fois ça.

Pierrick fit un long silence, comme il faisait toujours lorsqu'il racontait un événement important. Bérénice savait qu'il gardait le meilleur pour la fin, louvoyant dans ses pensées, faisant des silences, changeant même parfois de sujet. Il aimait faire patienter ses auditeurs. Mais cette fois-ci, son exaltation intérieure se manifestait dans la brillance de ses yeux, dans les mots surgissant de sa bouche comme des nuées ardentes, dans les mouvements désordonnés de sa tête, dans le remuement de ses mains aériennes touchant parfois les mains et les bras de Bérénice assise de l'autre côté de la table, distance que la jeune femme préservait avec précaution afin de garder son bon-sens hors d'atteinte du délire de son ami. Elle savait, ou du moins elle se doutait qu'en ce moment, il s'enflammait à outrance pour quelques divagations, quelques hypothèses qui deviendraient probablement de déraisonnables élucubrations.

Elle opta donc pour un délire passager, ayant appris par de pénibles expériences que rien ne venait facilement. D'ailleurs, elle ne croyait pas à la chance - puisqu'elle faisait les gestes qu'il fallait pour que cela arrive - mais plutôt à la malchance, c'est à dire à cette suite de circonstances venant contrecarrer un projet. Elle trouvait inconvenant qu'une certaine chance prédispose à un résultat non prévu par une sorte de prédestination, alors qu'autour d'elle tout n'était que chaos et hasard.

Un moineau fantasque se posa sur la table et, en quatre petits bonds, vint dans l'assiette de Pierrick picorer son moufflet; il le chassa du revers de la main.

- Ma vie va changer, Bérénice, assura Pierrick avec une conviction non feinte. C'est pas croyable. Hier, j'étais rien. Aujourd'hui, je suis quelqu'un. Je vais avoir de l'argent pour faire ce que je veux. Je peux même être leur conseiller en placements, ou gérant si je veux, ou manager, enfin, je ne sais pas encore comment appeler cela. Mais écoute-moi bien: ce gars-là, son père, au Moyen-Orient, a beaucoup d'argent. Et il veut investir au Québec, dans les arts, et aussi dans les manifestations artistiques. Il est plein à millions, à milliards même. Et c'est moi qui va lui dire où investir. Je vais gérer tout ça. T'imagines?

Saisi d'un vif plaisir, Pierrick prit une grande respiration avant de continuer:

- C'est pas croyable. Mais les folies, c'est fini. Je ne déconne plus comme avant. Je vais aussi changer d'amis, laisser ceux qui m'entraînent toujours dans des beuveries et qui ne foutent rien de bon. Je suis un autre homme. Au fait, il faut que je m'habille autrement. Je vais aller magasiner lundi. J'ai eu mon chèque de «BS», hier. Le loyer est payé. Mais le «BS», c'est fini maintenant.

Il prit encore une grande respiration, comme s'il s'apprêtait à plonger dans la gigantesque mer océane où les Océanides lui remettraient l'or étincelant. Bérénice savait qu'elle était ce câble reliant le scaphandrier à la surface, sachant aussi que si elle l'abandonnait, Pierrick errerait à travers les rues comme un simple d'esprit, ou irait chez ses amis qui le soûleraient à mort. Mais Pierrick reprit son souffle, à défaut de reprendre ses sens:

- En plus, ils vont m'ouvrir une galerie d'art, pour exposer mes œuvres, et celles de d'autres artistes que je choisirai bien sûr. Et même peut-être une école de peinture, si j'en fais la demande. Ils ne me refuseront rien, crois-moi. T'imagines, Bérénice?

La jeune femme riait malgré elle en voyant son ami poser des actions imaginaires, mais qui faisaient déjà parti de lui, alors qu'elle-même ne se réjouissait jamais avant un événement, alors que tant d'imprévus pouvaient survenir. Elle savait que Pierrick avait fait table rase de son passé et des projets qu'il concevait encore hier, qu'il avait profondément modifié sa façon de percevoir l'avenir, et qu'il se demandait probablement s'il aurait suffisamment le temps de saisir la plénitude de tout ce qui lui arrivait.

L'enthousiasme de son ami s'infiltrait en elle comme mille tentacules, raccourcissant son souffle, mouillant ses yeux, épanouissant son sourire, comme si elle regardait un mime faire le clown d'une façon attendrissante. Elle regretta cependant d'avoir pensé à ce personnage jouant des rôle, alors que les émotions de Pierrick étaient bien réelles.

- Il était normal que je lui donne 1000$ pour l'Afrique, commenta Pierrick pour se prouver à lui-même qu'il avait bien fait. Il n'avait plus rien, il s'était déjà tout fait voler la veille. Tu te rends compte: un soir, on lui prend son argent, le lendemain, on veut lui prendre sa vie. Alors, j'ai dit non, pas cette fois-ci. Il était dans le trouble. On ne laisse pas un gars dans le trouble. Mais, comme un con, je lui ai demandé pourquoi il ne faisait pas venir de l'argent de son père. Imagine-toi qu'en plus de sa peine d'amour, il s'est disputé avec son père. Parfois, dans la vie d'un homme, tous les malheurs arrivent en même temps.

Il réfléchit un instant, comme pour agencer cette pensée philosophique à son exubérance. Quand tout ce fut amalgamé à son être psychique, il reprit vite la parole:

- Il veut se réconcilier en personne. Et d'ailleurs, il m'a affirmé que son père l'aime beaucoup. C'est lui est qui parti sur un coup de tête. Il m'a parlé de son père. C'est un homme d'affaire formidable et très humain, pas mesquin comme la plupart des hommes d'affaire. Il est généreux aussi. T'imagines ma chance maintenant?

Bérénice ne pouvait faire autre chose que d'hocher la tête en signe d'acquiescement. Elle ne voyait que le visage épanoui de son ami, comme si tout autour d'elle tournoyait dans un maelstrom pour concentrer ses sens dans le regard étroit et mobile créé par ce tourbillon où elle ne voulait pas être entraînée. Elle se contentait d'en faire le tour, prudemment, de suivre le rebord, de sonder la vitesse de rotation, le diamètre, la circonférence, la couleur des émotions. Mais malgré elle, elle tenta de ramener son ami sur des visions un peu plus pragmatiques, et de lui éviter ainsi de brutales désillusions:

- Il revient quand? s'enquit-t-elle.

- Dans une semaine, au max!

- Avec son père?

- Je ne sais pas. Mais il aura déjà de l'argent, parce que je dois rembourser mes chums, avec de gros bonis évidemment. Je dois aussi agrandir l'atelier. Peut-être louer tout le deuxième étage. Et même acheter l'immeuble au complet. Le deuxième étage pourrait servir d'école. Je viens juste de penser à ça! T'imagines?

- Il a quel âge?

- Je ne sais pas. La trentaine.

- Il parle français?

- Il parle français comme moi et toi, comme s'il était né au Québec.

- Comment ça se fait?

- Je ne sais pas. Il apprend vite peut-être. Ou ça fait longtemps qu'il est ici. D'ailleurs, il parle français en Afrique du Nord. De toute façon, l'important, c'est qu'il apporte de l'argent et qu'ensemble on forme une bonne équipe. Je l'aime bien tu sais.

Pierrick avait une façon rapide et déconcertante de donner son amitié à n'importe qui. Ouvert, sociable, il était paradoxal. Intraverti, il ne se livrait jamais consciemment, mais exprimait dans son corps, et comme dans un livre ouvert, tout son univers intérieur, allant des sentiments aux craintes, en passant par les espoirs et les déceptions. Positions du tronc, mouvements des yeux, gestes des mains, tons de la voix, tout son corps devenait une machine à dire. 

- Il n'est pas n'importe qui! Je le sens. Enfin, la chance est avec moi.

Quand Pierrick prenait une gorgée de café, Bérénice faisait le même geste, inconsciemment, comme des personnes tentant de se séduire mutuellement. Elle était sa meilleure amie, fidèle et fiable, sachant écouter et consoler. Car Pierrick, à l'encontre d'aujourd'hui, avait souvent ces abattements moraux qui duraient en général deux ou trois jours - et cela survenait trois ou quatre fois par mois - jusqu'à ce qu'un événement, une phrase, un mot, une image l'enthousiasme jusqu'à la prochaine déprime née d'une incertitude, d'un doute, d'un remord, tout cela le replongeant brutalement dans une crise existentielle que n'aurait pas dédaigné un héros aimant souffrir, tel ce jeune Werther: «Ah! y eut-il donc avant moi des hommes aussi misérables que moi?»

Mais pendant qu'il était «high», il produisait des toiles, étudiait, sondait, cherchait sa «source profonde» comme il disait. Comme encouragement, il répétait sans cesse une de ces phrases thérapeutiques: «J'ai quelque chose d'unique en moi, il faut que je le trouve».

- Je vais avoir tout le temps de créer maintenant, dit-il, ne remarquant pas l'absurdité de cette phrase, lui qui avait tout les temps libres que l'assistance sociale - à défaut de leur donner un plein épanouissement matériel - prodiguait à tous ceux qui y adhéraient.

- L'argent va m'ouvrir des portes, lança-t-il. Mon père serait fier de moi.

La dernière phrase l'attrista, lui qui depuis huit ans ne s'était pas réconcilié avec son père habitant à cinq stations de métro de son atelier, et qui l'avait rejeté à cause de sa façon de penser et de vivre, il en était conscient.

- Tu vas venir accueillir Alamud avec moi, à l'aéroport? demanda-t-il comme s'il lui faisait une grande faveur.

- Oui, bien sûr. Je suis en vacance pour trois semaines.

- J'emprunterai l'auto à Yves. Alamud va m'appeler pour me dire quand il arrivera.

Assis à la table voisine, Tudi, qui se faisait une profession légitime d'être indiscret, n'avait rien perdu de la conversation. D'ailleurs, dans son enthousiasme, Pierrick lui jetait fréquemment des coups d’œil, comme s'il cherchait inconsciemment l'admiration inconditionnelle d'une autre personne. 

Tudi trouvait cet homme d'âge mûr dépeigné, frétillant et volubile, d'une incommensurable naïveté, très con, lui étiquetant volontiers les pires défauts: le manque de volonté, la mollesse, la bonasserie, le peu de culture générale.

Mais prenant ces œillades comme une invitation à s'insérer dans le plaisir d'autrui, Tudi ne put s'empêcher d'intervenir à sa manière, c'est à dire directement, et sans ambiguïté en regard de ce qu'il pensait. Mais, par exception, et à cause de l'enthousiasme amplifié et hallucinant qui possédait Pierrick - telle une emprise démoniaque - il décida d'attaquer à la deuxième question:

- Beau projet! dit-il en saisissant le regard de l'homme au passage.

- C'est extraordinaire, non? répondit Pierrick en souriant.

- Tu ne serais pas un peu naïf? lui demanda Tudi, comme deuxième question.

Sans se laisser démonter, Pierrick garda quand même un silence qui trahit la petite brèche que cette intervention avait ouverte dans sa confiance. Quant à Bérénice, Tudi Silver lui fit penser à l'homme à la Buick. Mais elle chasse ce mauvais souvenir qui ne l'avait pas assailli depuis des mois. Elle fut tout de même choquée que cet individu arrivant dans son cercle intime - elle sentait son haleine! - le remonte à la surface de sa mémoire.

Tudi se rappela que les gens pouvaient réagir à ses attaques d'une façon inversement proportionnelle à leur enthousiasme; ce qui lui valait parfois des répliques cinglantes. Il se rendait compte qu'il avait toujours cette irrésistible envie de vouloir tout nier chez les autres, même ce pour quoi il était en accord, s'affichant comme un sceptique impénitent et inconditionnel. Il se mettait souvent les gens à dos par sa façon brusque et rude de tout mettre en doute, voire de nier catégoriquement et sans discernement les idées des gens qu'ils rencontraient. Mais cette façon de faire lui plaisait, car en se mettant lui-même en péril d'être renverser par un plus grand que lui, il était forcé d'approfondir ses pensées et ses réflexions.

Il en avait surtout contre les personnes lançant des «vérités gratuites», comme si elles avaient réfléchi des années sur cette même pensée, l'analysant, la décortiquant, la confrontant pour finalement atteindre cette sagesse de la raison sur un petit point précis de la pensée humaine. Il savait pertinemment que ces personnes, souvent incultes - l'inculture étant inversement proportionnelle au degré de culture présumée - s'appropriaient une phrase lue ou entendue. Ces gens devaient donc lui prouver ce qu'ils avançaient.

Malgré ces faux philosophes et leurs vérités non-fondées, il aimait connaître les gens à travers leurs réalisations personnelles et concrètes, quoique peu de gens créaient quelque chose de différent ou d'étonnant. Car il voulait toujours être étonné, lui qui, avouait-il, avait tant vu. Sa passivité devant des scènes ou des événements, drôles ou tragiques selon le cas, lui donnait une apparence froide et distante, voire une insensibilité devant les vicissitudes ou les plaisirs de la vie sociale en général. Il se rappela cette fois où, au Festival «Juste pour rire», il s'était inséré dans un petit attroupement sur la rue Saint-Denis. Des gens regardaient un amuseur public très habile, mais qui ne l'étonna pas, alors que tous riaient autour de lui. Et le clown le remarqua. Il s'approcha de lui, et Tudi, déjà sur ses gardes, se confirma dans son intention de ne pas obéir à l'artiste ambulant si ce dernier voulait le prendre comme partenaire improvisé. Mais le clown se contenta d'approcher son visage peinturluré du sien et de dire à haute voix: «So serious!» Ce à quoi Tudi répliqua: «Étonne-moi!»

Pierrick s'apprêtait à répondre à sa remarque lorsqu'un un homme sortit sur la terrasse, un plateau dans une main et des livres sous le bras.

- Tiens, le «témoin de Jésus», murmura Pierrick à l'adresse de Tudi.

Puis se penchant vers lui: 

- Je vois cet homme à chaque fois que je viens à cette terrasse. Il porte, beau temps mauvais, le même imperméable élimé. Il fume constamment des «rouleuses» et boit une quantité astronomique de café. Il tousse. Il lit de petits livres saints Il écrit dans de petits calepins. Il connaît tout le monde ici, et tous l'apprécient. Il ne parle pas beaucoup, car il est très timide. D'habitude, il ne vient que dans la semaine.

Après avoir timidement salué Pierrick, l'homme s'installa à une table du fond et plaça sa machine à faire des cigarettes à bout filtres sur la table. Il enleva son imperméable beige, puis son veston en laine, car il faisait très chaud. Il portait des sandales, et une barbe de plusieurs jour. Il toussait à chacune des bouffée de fumée qu'il aspirait; et il buvait en alternant une gorgée de café et une gorgée d'eau.
 C'était la première fois que Tudi venait à cette terrasse et se permettait de descendre si bas sur la rue Saint-Denis, c'est à dire jusqu'à cette portion faisant «bas de gamme», alors qu'au nord de la rue Sherbrooke, le degré de scolarité et l'épaisseur du porte-feuilles et du snobisme croissait continuellement. Sa terrasse habituelle était située sur l'avenue McGill College.

Pierrick interpella brusquement «le témoin» à haute voix:

- Desrosiers! Viens ici une minute. J'ai quelque chose pour toi. 

 L'homme se leva, obéissant avec lourdeur, comme si cet appel dérangeait une méditation profonde, mais n'osant pas, rôle oblige, ne pas répondre à un appel qui pouvait en être un de détresse. Il moulait son corps dans les espaces entre les tables et les chaises, prenant, semblait-il, Pierrick comme point de repère. Lorsqu'il fut tout près, une odeur de tabac -telle une bulle invisible - enveloppa le petit groupe.

- Tudi, je te présente Desrosiers, un ami qui, dans des temps difficiles, m'a beaucoup aidé. Desrosiers, je vais avoir un beau cadeau pour toi. Je te dis pas quoi pour ne pas te donner d'illusion. («Le doute déjà», pensa Tudi). Il m'arrive quelque chose d'extraordinaire. Je ne peux pas t'en parler aujourd'hui. Mais bientôt, je vais te faire un beau cadeau.

- Tu vas faire mon portrait? s'étonna joyeusement l'individu, plus pour dire quelque chose que pour tenter de savoir un secret qui semblait nullement l'intéresser, à moins bien sûr qu'il ne fut s'agit d'une rencontre avec Jésus.

- Ca va être un cadeau que tu n'avais jamais espéré avoir. Fais-moi confiance.

Puis se tournant vers Tudi:

- Desrosiers est un bon gars. Gentil, sans violence, sans malice. Mais, contre toute attente, sais-tu ce qu'il collectionne? Des couteaux, des poignards, des dagues et des daguettes. Tout ce qu'il y a de plus beau, de plus artistique. Tu devrais voir sa collection. Surtout les exotiques: arabes, indiens, turcs, syriens. Celui qu'il aime par dessus tout, mais qu'il ne pourra jamais avoir: celui de Sélim Premier, dit le Cruel. Bizarre hein? Il m'a appris plein de mots: damasser, damasquiner, garde et contre-garde, gouttière...

Pendant que Pierrick lui parlait, Tudi regardait Desrosiers retourner à sa petite table du fond et reprendre aussitôt ses manipulations d'ingrédients, aussi sérieux qu'un alchimiste penché sur ses creusets. Il se demanda où cet être - somme tout bien ordinaire! - dénichait l'argent pour se payer une collection aussi dispendieuse. Il n'aimait pas Desrosiers, lui trouvant un regard fuyant, de cette fuyance annonçant une malhonnêteté potentielle et réfléchie. Cet homme devait écouter tout ce qui se disait autour de lui, lisant sans lire, écrivant sans écrire, c'est à dire en notant des informations compromettantes, et cela dans le but de commettre un vol ou un cambriolage.

- Il est 13 heures passées, s'étonna brusquement Pierrick. Ça fait deux heures que nous sommes assis là. Je dois y aller. J'ai un tas de choses à préparer pour ma nouvelle vie.

- Je dois y aller aussi, fit Tudi en se levant. Peut-être nous reverrons nous ici, samedi prochain. Au revoir.

Il jeta un regard un peu plus insistant à Bérénice restée silencieuse durant tout l'entretien entre les deux hommes. Malgré lui, son regard glissa encore une fois entre les seins de la femme, fixant cette petite bosse faite peut-être par un bijou caché. Mais il se dit qu'il préférait les deux autres bijoux, ces deux petits seins et leurs rondes auréoles pointant parfois sous le chandail moulant.

En montant les quelques marches menant sur le trottoir, il se demanda réellement s'il reviendrait à cette terrasse le samedi suivant. En s'incrustant dans la foule passante, il chercha un visage connu, ou un nouveau visage qui l'étonnerait.

________________________________ 

vendredi 30 août 2019

Journaux et périodiques - La Revue / Esso L'Impériale

La Revue - Automne 2007

Volume 91 Numéro 455

Esso L'Impériale

30 pages


Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

jeudi 29 août 2019

Littérature québécoise - La Fille de Christophe Colomb

La Fille de Christophe Colomb

Réjean Ducharme

Les Éditions Gallimard, 1966

238 pages

Sur le rabat:


Ce roman en vers raconte l'éternelle et picaresque aventure de Colombe, fille de Christophe Colomb revenu s'installer en 1949 sur l'île de Manne qu'il avait bâtie à l'époque de ses découvertes.
Après la mort de son père, Colombe, possédée par le démon du vagabondage, part à travers le monde, accompagnée d'abord par de louches personnages, entre autres Jules Gitôle, dont elle se débarrasse vivement. Mais après plusieurs années d'errance qui l'ont menée de l'Italie à la France, d'Istanbul à New York, de Hambourg à la Chine, de la Grèce à la Yougoslavie, elle regagne son lieu natal, dégoûtée de n'avoir pas trouvé l'amitié chez les hommes. Aussi lorsqu'elle reprend la route, et puisque son sort la condamne à voyager jusqu'à sa mort, elle s'entoure d'animaux dont le nombre va croissant : elle les aime, elle se fait adorer d'eux. Mais quand elle est rappelée au Canada pour y présider aux fêtes du millénaire de son auguste père, la civilisation moderne lui pose un nouveau problème : si l'on ne veut pas être victime de l'homme que faut-il faire?
Photo: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________


mercredi 28 août 2019

Histoire - Guide pour le colon

La province de Québec et les avantages qu'elle offre à l'émigrant français et belge.

Esquisse des ressources agricoles, industrielles, etc., etc. (sic)

Guide pour le colon

par Alfred Pelland, publiciste du Ministère

Publié sous la direction de l'Honoroble M. C.-R. Devlin,
Ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries

Québec, 1908

15,0 x 22,5 cm


Plusieurs photos dont ces quelques-unes:





Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

mardi 27 août 2019

Sciences et techniques - L'univers fascinant des étoiles filantes

L'univers fascinant des étoiles filantes
Guide complet des Perséïdes 1996

Supplément à Québec-Science
Numéro spécial été  1996.

Juillet 1996
Les Éditions astronomiques

20,0 x 21,0 cm; 46 pages.


Le guide complet et indispensable de l'observation des étoiles filantes.

Une brochure d'une cinquantaine de pages, abondamment illustrée et à prix modique, qui présente en détail les méthodes d'observation, les conditions les plus favorables, les trucs et astuces des observateurs chevronnés, la prise de photos, le recueil de données scientifiques, etc.

Un document qui donne aussi le tableau complet des pluies d'étoiles filantes jusqu'à la fin du siècle.


  • Attention : chute d'étoiles !
  • Tout ce qui risque de nous tomber sur la tête
  • Étoiles filantes et croyances populaires
  • L'observation des étoiles filantes, un loisir scientifique et utile
  • Les accessoires indispensables
  • Observer seul ou en groupe ?
  • Comment récolter des poussières d'étoiles filantes ?
  • Souriez...
  • Les principales pluies d'étoiles filantes jusqu'en l'an 2000
  • Adresses utiles

Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

lundi 26 août 2019

Sciences et techniques - L'éclipse de soleil du 10 mai 1994

L'éclipse de soleil du 10 mai 1994
L'événement astronomique de la décennie

Poster géant (recto-verso): 53,0 x 81,0 cm.

Commandité par:

- Planétarium de Montréal
- Association des ophtalmologistes du Québec
- Ordre des optométristes du Québec
- Les Débrouillards
- Société d'astronomie du Planétarium


Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

dimanche 25 août 2019

Livres et cahiers pratiques - Cours abrégé d'art culinaire

Cours abrégé d'art culinaire

par Marguerite Lortie,
technicienne en économie domestique

Ministère de l'Agriculture, Service de l'Information, juillet 1976.

14,5 x 21,0 cm; 20 pages

Photo: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

samedi 24 août 2019

Livres et cahiers pratiques - Conseils pratiques d'un médecin de famille

 Conseils pratiques d'un médecin de famille
Maladies, remèdes, cas d'urgence

Lucien Joubert, m.d.

Les Éditions de l'Homme, Montréal, 1962
Coll. «Pour tous»

10,0 x 14,0 cm; 128 pages


Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

vendredi 23 août 2019

Livres et cahiers pratiques - La bonne cuisine canadienne

La bonne cuisine canadienne

Traité d'art culinaire à l'usage des hôtels de la province de Québec.

Avec dix planches originales en couleur

Publiée par le Ministère de la Voirie, 1927

15,0 x 22,0 cm; 174 pages


Avant

 Après

Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

jeudi 22 août 2019

Littérature enfants/jeunesse - Les aventures de Tracassin

Les Aventures de Tracassin

Tante Lucille (Lucille Desparais)

Illustrations de Janine Gens

Éditions Granger Frères, Montréal, 1947.

15,5 x 23,5 cm; 118 pages.

Illustration



Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

mercredi 21 août 2019

Histoire - Dans nos montagnes (Charlevoix)

Dans nos montagnes (Charlevoix)

Troisième édition revue et augmentée

Léonce Boivin, prêtre
Docteur en théologie
Licencié en droit canonique

Cure de L'Assomption dans Éboulements
Les Éboulements, Septembre 1945 (Ottawa 1941)

15,5 x 20,5 cm; 242 pages

 Mon grand danois, 35 pcs à l'épaule

René Lavoie au travail 

Saint-Hilarion

Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________

mardi 20 août 2019

Livres et cahiers pratiques - Connaissances scientifiques usuelles et hygiène

Connaissances scientifiques usuelles et hygiène

3e, 4e, 5e et 6e année

5e édition

Prix: 50 sous

Procure des missions des Sœurs de Sainte-Anne, Lachine, 1931

Droits réservés, Canada, 1917
par les Sœurs de Sainte-Anne, Lachine.

12,5 x 19 cm; 212 pages

________________

Dans le chapitre sur les races, il est écrit:

«La race blanche domine les autres races par son activité, son industrie, sa puissance matérielle, morale et religieuse.»



____________________

Beaucoup d'illustrations, entre autres:




Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________