jeudi 23 mai 2019

Concours littéraires - L'insolitude

Je pourrais sous-titrer cette capsule: Un souvenir oublié

Dans mon journal, en 1963, je notais:
27 août 63 - Fait une cachette dans la shède (sic) dans le plancher.
Vingt ans plus tard, je notais dans mon journal: 
29 mai 1984 - Nouvelles, Plume saguenéenne (Annabelle Tremblay) 
29 septembre 1984 - 2e prix pour la Plume saguenéenne - Salon du livre – billets pour 2 personnes pour Montréal en avion aller-retour… 
23 décembre 1984  - Lever à 5 heures – avion pour Montréal (1) 
2 janvier 1985 Retour de Montréal – auto enneigée, pneu à plat, etc. (2)

Le premier octobre 1984, je passais à la télévision Mont-Jacob, à l'émission « Bon Matin », en tant que gagnant du deuxième prix pour L'insolitude, un recueil de nouvelles. Quel trac! Heureusement que le gagnant du premier prix, Monsieur Gérard Pourcel, avait la parole facile et a monopolisé presque entièrement le temps d'antenne.

(1) En avion, le trajet Saint-Fulgence - La Baie prenait plus de temps que La Baie - Montréal.

(2) Cette semaine-là, deux tempêtes de neige avaient balayé la région. L'auto était entièrement recouverte, même le moteur qui refusait de démarrer, la neige tassée sous le capot empêchant même le ventilateur de tourner. Et un pneu à plat... Plusieurs heures et  beaucoup de débrouillardise plus tard, nous parvînmes enfin à la maison, dans le rang Sainte-Anne, une maison qu'on ne voyait plus du chemin à cause des bancs de neige de 10 pieds de hauteur...
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J'avais écrit L'insolite fragmenté (1983) l'année précédant ma participation au concours de la Plume saguenéenne, soit exactement 20 ans après l'événement de 1963. Pour le concours, j'avais alors changé le titre pour L'insolitude (imbrication des mots insolite et solitude).

Et toujours pas de souvenir de... 1963. Pourtant, la similitude était frappante entre le trésor enfoui dans la «shède» et le trésor oublié de la nouvelle. Ce n'est que des années plus tard que j'ai fait le rapprochement.


Voici la première version:

L'insolite fragmenté - Le plan

Quand, Y. octogénaire encore alerte décida de réparer une latte du plancher de la cuisine d'été, il trouva un vieux papier jauni et sec qu'il déplia avec mille précautions. C'était un griffonnage, ou plutôt un plan: des lignes, des flèches et, dans un coin, une croix, et un mot: TRÉSOR. Le vieux pensa: «Peut-être  un butin de pillage des soldats anglais, ou de quelques brigands...» Il cacha soigneusement le plan: le lendemain, il chercherait.

De l'orme, il ne restait que la souche. Des pas. Un ruisseau. Des pas. Un rocher. Des pas plein nord. Et un trésor sous lui. Alors, il creusa lentement, pour ne pas s'éreinter.

Mais le soleil déclina, et il n'avait pas encore trouvé.

Le lendemain, il recommença, agrandissant le trou. Mais toujours rien. Il s'assit alors sur une pierre et jongla longtemps. Puis le souvenir revint, de très loin. Le plan, c'était lui, gamin, qui l'avait tracé, pour jouer à l'aventure...
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Voici la deuxième version:

L'insolitude - Le plan

Quand Osias, octogénaire encore alerte répara une latte du plancher de la cuisine d'été, il trouva un vieux papier jauni et sec qu'il déplia avec mille précautions. C'était un griffonnage, ou plutôt un plan: des lignes, des flèches et, dans un coin, une croix, et un mot: TRÉSOR.

L'écriture était fébrile. Les mots s'étiraient, cherchant à fuir. Et les lignes, pourtant tracées avec soin, étaient issues d'une main hésitante, presque tremblante. Seul le mot TRÉSOR présentait de grosses lettres rouges, comme s'il gardait en lui-même l'objet qu'il nommait. Osias regardait le morceau de papier, et sous ses yeux fatigués, les lignes s'enchevêtraient comme pour l'égarer. Mais il connaissait les lieux et avait déjà dans sa mémoire, les points de repère indiqués sur le plan.

«Peut-être  un butin de pillage des soldats anglais, ou de quelques brigands...», pensa-t-il. Le plan datait du mois d'octobre 1837. Il se vit alors petit garçon.

... Au bruit des pas et des voix rudes venant de la cuisine en bas, Osias entrouvrit la porte de sa chambre. Il vit des officiers aller et venir., fouillant partout, buvant du vin, mangeant avec leurs mains, et riant fort. Il vit son père et sa mère, assis dans un coin, hésitants et craintifs, souriant parfois d'une plaisanterie qu'ils ne comprenaient pas. 
Et les défilés de soldats sur le chemin, la poussière, les canons, les mortiers tirés par des chevaux... Et lui se demandant où ils se rendaient ainsi. C'était en novembre 1837...

Osias, avec nostalgie, se rappela sa profonde tristesse devant une situation qu'il ne pouvait changer, se sentant si impuissant, enfermé dans son jeune âge.

Il cacha soigneusement le plan: le lendemain, il chercherait.

De l'orme, il ne restait que la souche. Des pas. Un ruisseau. Des pas. Un rocher. Des pas plein nord. Et un trésor sous lui. Alors, il creusa lentement, pour ne pas s'éreinter.

Mais le soleil déclina, et il n'avait pas encore trouvé.

Le lendemain, il recommença, agrandissant le trou. Mais toujours rien. Il s'assit alors sur une pierre et jongla longtemps. Puis le souvenir revint, de très loin. Le plan, c'était lui, gamin, qui l'avait tracé, pour cacher sous la terre, sa peine et sa solitude face à la guerre, face à la souffrance.
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