mercredi 9 septembre 2020

Personnellement - Les Jeunesses Actives

Dans les années 60, alors que j'avais 16-17 ans, je me suis beaucoup impliqué dans les Jeunesses Actives, à Montréal, un organisme composé de bénévoles qui venaient en aide aux gens dans le besoin.

Dans mon journal, je notais:
03 janvier 1966 
Jeunesses Actives: fermé cause de cambriolage.

11 février 1966
Après les Jeunesses Actives, nous allions souvent au Restaurant Beaulac, prendre un café et discuter. Grosse période pour ce bénévolat.
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Voici un article paru dans Photo-Journal, semaine du 30 nov. au 7 déc. 1966.

L'Opération 7 contremandée

La plus grande opération de jeunes devait être lancée à Montréal les 3, 10, 17 et 18 décembre prochain. Elle ne le sera pas. Ou, du moins, pas telle que prévue par les organisateurs, Les Jeunesses Actives inc. Et pourtant, tout avait été mis au point, mais on avait compté sans l'objection catégorique du Bien-Être social. Les quelques 600 jeunes membres de cet organisme, tous des 15-25, qui essaient de consacrer leurs loisirs à aider les défavorisés, se voient refuser ce droit. Parce que l'an dernier, ils ont fait une erreur qu'ils ont payée de leurs propres deniers, on leur refuse toute initiative. Jacques Paquette, secrétaire exécutif des Jeunesses Actives, annonçait le lancement d’Opération 7 dans un communiqué remis aux journaux la semaine dernière. Nous nous étions fixé rendez-vous à l'entrepôt-bureau, au 60 ouest de la rue Sainte-Catherine. Nous allions parler Opération 7, Richard devait m'en décrire les diverses étapes, expliquer les résultats que tous ils en attendaient. Après quelques minutes de conversation, le tout a éclaté.

- On ne sait plus très bien où on s’en va. Ou bien on arrête tout, ou bien on risque d’être traduit devant les tribunaux pour “opérer sans permis.”

Et pourtant, voilà déjà six ans que les Jeunesses Actives existent. Les membres ont changé, la formule aussi. En 59, un groupe de sportifs amateurs du nord de Montréal décidaient, à l’occasion de la Noël, de préparer des paniers pour certaines familles défavorisées. Ce premier contact ne pouvait les laisser indifférents. L’année suivante, ils fondent un mouvement de jeunes qui se consacrerait à des problèmes socio-économiques. L’action est alors plus théorique que pratique. Étudiants ou travailleurs, ils organisent des forums, des panels, discutent des problèmes de la pauvreté à Montréal, tentent d’y apporter des solutions sur papier. Mais ça ne suffit plus. À cet âge où l’on ne peut se contenter de grandes dissertations quand on voit de près la situation déplorable de certaines familles, il fallait agir. Il y a deux ans, les Jeunesses Actives adoptaient la formule actuelle : un entrepôt à la portée de tous les organismes officiels de bienfaisance. Des centaines de jeunes s’engagent à aider les personnes dans le besoin, par la création d’un fonds de secours où l’on peut trouver vêtements, conserves, jouets et meubles, absolument gratuitement, quelles que soient sa religion, sa race, dès qu'il est prouvé qu’on est incapable de s’offrir le strict nécessaire.

Les parents embarquent

Trois cents familles à vêtir et à nourrir. Ça nécessite toute une organisation. Faire appel à la générosité du public, aller cueillir ces boîtes qu’on veut bien offrir aux Jeunesses Actives, ça demande tout un service de voitures, un local permanent, des gens qui y travaillent bénévolement pendant la semaine. Et les jeunes, qu’ils soient aux études ou au travail, ne disposent pas d’heures de loisir pendant la journée. Plusieurs mamans conscientes de l’effort de leurs filles et de leurs gars ont emboîté le pas. Elles vont donner un coup de main, le mercredi, à l’entrepôt de la rue Sainte-Catherine. Les pères de famille aussi y vont de leur effort, dans la cueillette des vêtements. Plusieurs consentent à prêter leur voiture pour cette cause, d’autres vont eux-mêmes cueillir les boîtes. Toute cette action sociale positive est mise sur pied et dirigée par des jeunes. Les Jeunesses Actives comptent 600 membres. Une soixantaine participent régulièrement; les autres, à l’occasion, consacrent leurs loisirs à ce mouvement. Et pourtant, depuis l'an dernier, on a laissé tomber toutes les activités sociales. Plus de danses, plus de ciné-club. Et les jeunes continuent à participer. «On a laissé tomber ces danses parce qu'on s’est rendu compte que les Centres de loisirs, les artistes qu’on invitait, faisaient plus de profits que nous, alors que nous fournissions tout le travail de préparation. Et d'ailleurs, ce sont des heures de plus à consacrer à l'oeuvre», explique Jacques Paquette.

Le coût de l'entreprise

L'affaire est maintenant assez importante pour exiger une tenue de livres stricte. Tous ces jeunes sont conscients de leur manque d’expérience. Ils n'hésitent pas à faire appel à des aînés qui les conseillent, tant sur le plan de la publicité que sur celui de la comptabilité. C’est tantôt un officier des relations extérieures d’un important magasin à rayons de la métropole, tantôt un conseiller municipal, tantôt un homme d'affaires. Les chiffres sont précis, ils n'ont rien d’exorbitant. De quatre cents à cinq cents dollars par mois pour couvrir tous les frais, loyer, secrétariat permanent, téléphone, électricité et autres dépenses de la sorte. Évidemment, une légère subvention du Gouvernement, et les Jeunesses Actives pourraient opérer sans problèmes. Mais ça n’est pas pour demain. Surtout depuis que le Bien-Être social a formellement décidé de boycotter le mouvement et toutes les initiatives qu’il tente de mettre sur pied pour aider à son roulement normal.

Feu l'Opération 7

L’Opération 7, ça devait être quoi au juste ? Une quête publique ? Non pas. Jacques Paquette résume. «Nous n’avions pas l’intention de demander un seul sou au public. Nous avons des gouverneurs, industriels et maisons d’affaires qui nous accordent un appui financier suffisant pour le moment. Ce que nous demandions au public, c’était un apport moins coûteux, tout aussi important: des vêtements, des meubles qui ne leur sont plus utiles, des boîtes de conserve de toute sorte. Le tout dans un échange amusant.» Une conception jeune, une façon d’aider ceux qui en ont besoin, sans ennuyer ceux qui veulent donner; des cinés-conserves et des quilles-conserves. Cinq cinémas Odéon et trois salles de quilles de la métropole avaient accepté de collaborer. Les 3, 10, 17 et 18 décembre, le public devait profiter d’une séance cinématographique ou de parties de quilles en couvrant les frais d’entrée avec trois boîtes de conserve qu’on donnerait de bon cœur. Entre-temps, une publicité soutenue à la radio, à la télévision et dans les journaux devait inciter les mères de famille à se départir de leurs vieux vêtements. Les Jeunesses Actives se chargeaient d’en faire la cueillette. Le tout en prévision de demandes qui se feront certes plus nombreuses et plus pressantes à l’époque de la Noël et du temps froid. Et voilà que les cinémas et les salles de quilles opérant à l’intérieur de la municipalité de Montréal font marche arrière. Le Bien-Être social est là qui veille. Aider les nécessiteux, c’est son affaire, et bien mal vu qui ose s’en mêler. Surtout si ce sont de jeunes amateurs, qui osent exercer une action en dehors des cadres bien établis des instituts de charité reconnus.

Un coup d'essai raté

Évidemment, il y a eu l’erreur de l’année précédente. Jacques Paquette est franc, il l’admet simplement; mais il explique aussi que ce déficit a été absorbé par les jeunes eux-mêmes. L’aventure s’est déroulée comme suit. L'idée avait été lancée à la suite de deux réunions générales, auxquelles participaient les gouverneurs du mouvement, tous hommes d’affaires avertis. Ces conseillers avaient l’habitude de jongler avec des chiffres énormes, ils oubliaient que l’entrain, la bonne volonté des jeunes remplacent facilement les budgets-record. Résultat : 2 mille dollars de déficit. «Et c'est ça qu’on nous reproche aujourd'hui. Le Bien-Être social s’accroche à cette erreur, au point d’en oublier le travail positif que nous avons fait jusqu’à maintenant. Et pourtant — Jacques insiste encore une fois —, nous avons couvert ce déficit avec nos deniers, cet argent que nous avions ramassé en organisant des danses et des soirées-discothèques.»

- Vous avez parlé de “boycottage”. Pouvez-vous expliquer ?

- Voilà. Depuis cinq ans, nous n’avons jamais fait de demande officielle de permis au Bien-Être social, et pourtant on ne nous avait jamais ennuyés jusqu'à maintenant. On devait sans doute prendre en considération que le mouvement était une affaire de jeunes, que ceux qui y consacraient leurs loisirs étaient tous des 15-25, dont le seul et unique but était d’aider toutes ces familles qui n’ont même pas le strict minimum pour vivre convenablement. Et tout à coup, cette année, ça nous arrive comme un cheveu sur la soupe. Le Bien-Être social menace de nous traîner en cour parce que nous opérons sans permis; ils vont même jusqu’à prévenir nos commanditaires qu’ils n'ont pas le droit de nous aider. Et tout ça après que l'Opération 7 a été annoncée.

- Si ce n’est qu’une question de permis, pourquoi ne faites-vous pas une demande officielle pour clore cette affaire ?

- C’est là que tout se complique. C'est évidemment la première chose à laquelle nous avons songé. On nous a répondu qu’il était trop tard. Le bilan des permis pour l’année 1966 est terminé, il n’est plus possible d’en obtenir avant l’an prochain, et nous avons un besoin urgent de refaire nos provisions avant le temps des Fêtes.

- Avez-vous l’intention de fermer boutique ?

- Pour le moment, nous avons le droit de recevoir ce que les gens veulent bien nous envoyer, même sans permis. Nous ne pouvons lancer d'appel, nous ne pouvons rien organiser qui puisse rapporter, à moins de risquer un procès.

En attendant les développements de toute cette affaire, Jacques Paquette et tous les membres des Jeunesses Actives n’auraient plus qu’à occuper leurs loisirs à autre chose, puisqu’on leur refuse le droit d'aider, de poser des actes positifs.


Numérisation: Pierre Rousseau - © 2020 
Archives Pierre Rousseau
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