lundi 18 janvier 2021

Littérature française - Les reins et les coeurs

Les reins et les cœurs

Paul-André Lesort

Éditions du Seuil, 1964.

Coll. «Le livre de poche» 2471.


Note: de petits pétales de rose entre plusieurs pages, rappelant l'illustration du livre; aucun souvenir de la provenance.




Notes et soulignements de lecture

DLM = Dans la marge


Un être est ce qu'il fait, non ce qu'il subit. 22

[...] c'est ne plus voir devant qu'une seule route et se regarder y avancer, porté sans un mouvement comme dans un rêve; [...] 25

Un être toujours insatisfait du présent, incapable de vivre dans le réel, voilà ce qu'il est. 30

Feindre des sentiments inexistants, respecter les usages, assembler des formules toutes faites, la vie n'est pas moins inepte que le style de ces lettres. 31

Ce corps a beau la combler de caresses, de plaisir, même de paroles tendres, il reste délégué à cette besogne par quelqu'un qui échappe à  toute atteinte, quelqu'un de défiant, de détaché. 68

Quel ancre que l'amour, a-t-il dit un jour en riant, on ne la lève pas, on ne peut que briser la chaîne. 70

Note: dans la table de matières, un X est mis devant ce chapitre

C'est une impression étonnante que celle de ces moments où avec un autre être aucune parole n'est plus nécessaire pour que le courant passe, pour que toutes les vibrations de l'autre vous soient perceptibles - quelles qu'elles soient. 82

L'amitié n'est pas comme l'amour cette grande clarté éblouissante qui cherche à  tout atteindre, à tout étreindre; l'amitié, qui ne dispose presque que de la parole, a peut-être besoin de détours, d'arrêts, de changements d'allure; l'amour, qui met tout en jeu, ne souffre pas une ombre. 85

En quittant le  creux chaud de la banquette, en se mettant  dans l'air froid de la rue, an détendant le corps engourdi,  on fait tomber de soi de grands pans d'espace et de liberté comme tombante les plaques de neige du manteau qu'on secoue an moment de franchir un seuil. 87

Pourquoi Suzanne paraît-elle sa femme? Tous les hommes mariés disent la même chose: ma femme. Ce n'est pourtant pas un objet de série. Chacun pense que la sienne est en dehors de la série, mais que toutes les autres... On réduit à un schéma. Il faudrait un substantif pour chaque être. Qu'est-ce que cela veut dire? 88

Elle éprouve un peu de dépit de la petite taille de son mari. Si elle pouvait le retoucher, elle lui donnerait certainement vingt centimètres de plus. 91

Si l'on pouvait tout à coup contempler un homme dans sa nudité d'homme! Mais non, l'homme ne va pas tout nu. 97 DLM: se dévoiler

[...] il n'y a pas de chances de voir jamais l'âme de Gilbert, qui est pourtant son être moral authentique, mais seulement ce revêtement de préjugés, cette carapace d'opinions, ce ceinturage de manies. 97

L'amour jette au loin les vêtements. L'amour étreint une réalité qui se dérobe à toute autre emprise. 98

Elle est liée à lui par tant de fils invisibles que le moindre de ses gestes suscite la douleur. 100

Mais déjà le baiser n'est plus le mensonge qu'il eût encore été quelques instants plus tôt; il n'est pas la jonction de deux visages masquant des êtres étrangers: il devient prise mutuelle, passage des âmes, confluent où se mêlent deux flots en un flot nouveau. 103

127 DLM: souvenir

Mais n'y a-t-il pas des instants dans la vie où la personne s'exprime exactement dans son corps, dans son visage? 129

Une femme, si elle n'a pas d'enfant, il faut qu'elle trouve elle-même le chemin. 134

[...] Comment échapperait-on à la morne horreur du face-à-face avec soi-même? 134

[...] oublier tout ce qui n'est pas la joie de l'instant [...] 137

[...] et Michel, brillant, heureux, mais loin de lui-même, détaché de son être véritable, continuait de jouer. 143

La vertu! Comme s'il était question de vertu! Mais la propreté est bien autre chose qu'une vertu. Un élan, une ardeur. Quelque chose de lumineux qui empêche les mensonges d'0bscurcir ces vrais problèmes dont parle Jean. Arriver au point où l'on puisse se donner complètement, sans arrière-pensées, sans crainte d'être dupe. Toutes les barrières d'hypocrisie et de jalousie tombées, se trouver face à face  avec les réelles nécessités humaines. Crever ces écrans des partis et des classes. Nettoyer, décrasser, voir clair. Pouvoir aimer au lieu de se méfier. 144

Peur? A-t-il peur? de quoi donc? Ces clameurs, ces remous, ce déchainement soudain d'êtres qui courent, qui crient, ont quelque chose de pacifiant. C'est comme une grande gorgée d'air dans la poitrine. Des êtres qui s'animent, dont les corps se meuvent et se touchent, dont les voix se confondent, dont les gestes se rencontrent, des êtres lancés dans la rue [...] 145

Ce visage, enfin, il faut en venir à bout! Est-il donc beau? Mais non, sa beauté est sans importance. Attentif à elle, Colette? Mais non, i1 s'est détourné. Quel est donc l'étrange lien qui, de la surface où il flotte, plonge en elle, profond et tenace comme une tige de nénuphar? 146 DLM: un grand X

Le geste est un acte, quand la parole n'est que l'annonce de l'acte. 150

L'esprit n'est pas, mais se fait. 152

La politique, pour lui, c'est la même chose que l'amour. Refus de la solitude qui est la même chose que la désertion. Chercher le bonheur dans le bonheur de l'autre. Créer la vraie liberté, qui est pouvoir mutuel. Croire aux actes et non aux rêves. 157

Était-ce pour l'aimer ou pour jouir d'être aimé d'elle? 168

174 DLM: amour maternel

193 DLM: médecin

200 et 201:

Note: numéros de page entourés.

Ces mots balbutiés, ces mots jaillis de la petite bouche haletante. La cognée qui s'était abattue si durement sur eux s'est-elle relevée, et au-dessus  de leurs têtes s'apprête-t-elle déjà à tomber de nouveau, à les frapper entre les épaules? Dans l'ombre de la pièce quelle présence déjà rôde, se dresse, suspend son Souffle, va pousser le han! du bûcheron? À l'étage supérieur résonnent les pas d'un des enfants. Mais c'est de la petite chambre que vient cette respiration rapide, entrecoupée, si pareille a celle de Germaine que tout semble se passer dans un rêve, un de ces rêves où reviennent indéfiniment les images du jour affreux. Clotilde se lève, va vers la porte entrouverte. Dans les ténèbres, un enfant brûlant, moite de sueur, se débat. Un petit enfant, si proche encore du bébé au ventre rond et aux membres plissés que Gandillon lui a confié le 9 septembre 1923 dans cette grande chambre derrière lui. Monique au regard brillant, Monique aux cheveux blonds, petite personne enclose dans son corps, petite personne toute seule déjà, livrée au monde, livrée aux forces de la nature, menant sa bataille sans que nul geste puisse la secourir. Elle tousse de temps en temps, d'une toux dure et angoissée, puis reprend haleine comme un lutteur dans le silence soudain des spectateurs. Spectateurs... L'avoir menée jusque-là, chérie, nourrie, élevée, soignée, avoir guidé ses pas, ses paroles, et n'être plus que spectateur, regards braqués dans l'0mbre, membres paralysés par l'impuissance, sur la rive où meurt l'écume tandis que se débat dans la tempête la petite barque inapprochable. Seule, seule, seule. Si petite et seule. 200

Aux obscures profondeurs de son corps une guerre se livre, non moins féroce, non moins impitoyable et acharnée que celles où s'empoignent les peuples à la surface de la Terre. Aveugles, compactes, mises en branle soudain par les ordres de volontés lointaines et inconnaissables, les forces de destructions submergent ce petit être, pourquoi lui? d'un flot rageur, comme ces vagues de troupes, dans la fumée des barrages, battant les pentes du Chemin des Dames le 16 avril 1917. Et qui la défend? Elle seule, ramassée sur elle-même, ses forces d'enfant face à face avec les maux des hommes, portant le poids dont nul ne peut se charger pour elle, écrasée, brûlante, contractée par l'effort, et si proche qu'il suffit de tendre le bras pour la toucher, mais seule, séparée, seule.

Le front humide est feutré de cheveux collés. L'odeur de sueur et de vomissure est comme une vapeur émanée de la combustion du petit corps geignant. La nuit fourmille de cauchemars, papillons voletant autour des lèvres ou naît le souffle oppressé. La tête affleure comme un écueil dans la blancheur des draps. La couverture moule l'épaule ronde, le bras plié, la hanche saillante, les genoux ramenés au ventre. Ce corps est fait de sa substance à lui et de celle de Clotilde, jointes, combinées, unies en une nouvelle substance qui vient d'eux, ne serait pas sans eux, mais n'est pas eux, météore détaché, lancé à travers les sphères sur une trajectoire inconnue, jusqu'à quel terme, jusqu'à quelle chute, jusqu'à quel instant suprême d'incandescence et de pulvérisation? Vita mutatur, non tollitur. S'il avait une once de foi réelle, les mots si souvent entendus [...] 201

223 DLM: amour filial

[...] lui qui appartient à tant de choses dont elle a été absente, dont elle est encore absente? 240

Le miroir ne s'empare pas de l'image, il la renvoie. 241

Je te connais pourtant, Eugene! Et brusquement il y a des moments où cela ne me suffit pas. Le visage d'Eugène, dans la lumière de la fenêtre, est opaque et solide comme une poterie de terre blanche, et ses yeux brillent d'un regard indéchiffrable. « Ton visage, ton regard, que signifie tout cela? Pourquoi ne puis-je plus supporter que tu sois quelqu'un, que tu sois... Ah! je ne peux pas exprimer cela. Je crois que je ne sais pas aimer. » Il serre l'épaule de sa grande main dure, toujours un peu brutale, caresse le cou de ses doigts râpeux. 244

«Tous les êtres ont leur mystère, et ce n'est pas un mystère dans leur vie, mais leur mystère fondamental, celui qui les fait exister, celui de leur être même. Nous passons indifférents a coté de tous ces mystères, et le plus souvent a cote du notre. Et puis, tout à coup, il y a un de ces mystères que nous ne pouvons plus supporter. Il se matérialise pour nous par un visage, par un regard, parce que le visage et le regard sont les signes, les images les plus translucides de ce mystère de l'être, et en même temps les plus énigmatiques, les plus irritants. »

Qu'il parle encore! Qu'il ne se taise pas! Elle n'est plus que cette parole! 244

«Mais suppose le mystère atteint, l'être traversé au clair, l'image dépassée, le signe déchiffré - et cela implique déjà que le visage n'est plus objet d'interrogation et de recherche -, que reste-t-il de l'amour? Le sentiment, tout au plus, d'un effort passé, d'une fatigue heureuse comme au soir des longues marches, d'une familiarité comme avec les vieux livres, d'une habitude enfin, un usage, une accoutumance. Tels sont sans doute les sentiments de beaucoup de vieux ménages. Ont-ils atteint? Ou seulement renoncé? Nous nous aimons parce que nous ne pouvons supporter l'existence de nos mystères réciproques, et qu'à travers nos âmes, à travers nos visages, à travers nos corps,  nous ne cessons de chercher a nous atteindre. Ne dis pas que tu souffres bien que tu aimes, mais parce que. 245

Ce sont les formalités qui créent entre les êtres cette distance qu'il faudrait supprimer. 254

Un mort régulier ne vaut-il pas mieux qu'un vivant illégal? 254

Tout est inscrit en nous d'avance, il ne s'agit plus que d'y ajouter des arguments: on les colle au coin de ses certitudes comme le timbre au coin de la lettre, c'est la taxe payée à la raison pour qu'elle transporte le contenu sans y regarder. Écarter toutes ces ineptes discussions. S'en tenir à l'essentiel. Dieu est. 255

La mort d'Andrée... 256 DLM: un X

Il est évident qu'aimer Suzanne, c'est la traiter comme un autre moi. 266

[...] me désires-tu parce que tu m'aimes ou m'aimes-tu parce que tu me désires? 276

Ce qu'il aime, ce n'est donc pas Suzanne, c'est la possession de Suzanne. 278

295 DLM: sexualité

Échapper à soi-même! Vivre dans un autre être! 300

Toute idée d'activité volontaire et consciente soulève le cœur de dégoût. 302

Il sait ce qu'il est: un homme possédé d'un désir sexuel trop longtemps refoulé. 309

Le bonheur est un point lumineux qu'il ne faut pas quitter du regard. 311

Qu'importe d'arriver à être le regard de l'autre? Cela ne permet d'atteindre son âme. 319

330 DLM: occupé par son emploi

On est deux pour une discussion. Mais seul pour une décision. 333

Maintenant qu'il a jeté par-dessus bord tout le faix encombrant que constitue la personnalité, maintenant qu'il est nu, vivant, léger, il ne va pas rendosser toutes ces défroques que l'on s'est peu à peu laissé imposé par l'éducation [...] 368

[...] les traditions, et surtout par cet instinct damné de cohérence et de fidélité à soi-même. 369

La vie n'est pas seulement courte, elle est immobile, c'est cela qui est affreux. 380

N'abritons-nous pas d'autres moi qui sortent au beau jour, vivent quelque temps à notre place et soudain renoncent, s'évanouissent, regagnent leur cachette? 404

418 DLM: elle se sacrifie pour son mari.

Deux minutes d'unité avec un être. Hors dans l'amour, comment aurait-on plus? 439

Le bonheur doit-être un état si simple, si léger, si diaphane! 449

Ce qui est digne de l'homme ne se fait que face à face avec la vérité. 453

Il aurait pu aussi bien aimer une fille laide, l'important eût été de l'aimer comme laide et non en croyant découvrir en elle une beauté que personne d'autre n'aurait été capable de percevoir. 454

[...] la pensée dégagée du mélange des éléments irrationnels, la pensée chimiquement pure. 456

Comment être deux dans l'humilité? 457

Des monologues à deux. 457

Parce que ne triche jamais. 457 DLM: * la vérité la franchise

Il est bon, au contraire, de contempler la flétrissure et la disparition de tant de choses secondaires quand l'essentiel demeure. C'est la mort des choses secondaires que naît et vit le durable. 460

Moi aussi je crois vous connaître mieux que vous ne vous connaissez! 497

Je ne doute pas de vous aimer. 497

497 DLM: veut être guéri

Je vous expliquerai, mais j'ai peur que le bonheur, ce soit de ne pas se poser de questions. 498

[...] que nous mettrons toujours la vérité au-dessus du bonheur. 499

«Ma chérie, tu es la seule qui puisse m'aider. Je crois que tu es la seule.» 499

Et pourtant, c'est vrai, l'indifférence des choses familières en face du bouleversement total de l'existence est normale mais surprenante. 501

La maladie d'Andrée est pour Michel un lourd fardeau, mais c'et une forme du bonheur que de porter le fardeau de ceux qu'on aide. 523

Quelle démoniaque méchanceté peut vouloir empêcher un homme et une femme qui s'aiment de se réunir pour se communiquer secrètement une joie qui ne fait de mal à personne? 537

542 Note: soulignement de 2 phrases avec 2 couleurs différentes (voir page numérisée)


«Pourquoi tenez-vous tant à ne jamais paraître ce que vous êtes?» En réalité, ce qui est odieux, ce n'est pas de paraître ce que l'on est, mais de se voir soi-même figé dans des images impersonnelles, de se laisser imposer les lois de l'espèce. 542

[...] ils se seront dépouillés de tout ce qui n'est pas leur être pur. Alors, peut-être, de ce complet dépouillement, et de la purgation du désir, surgira cet hypothétique corps simple, le bonheur. 571

578 Idem 2 couleurs


Si elle n'est pas capable de le soustraire aux soucis, aux scrupules, aux chagrins qui l'ont ainsi marqué, en quoi peut-elle le servir? Plus même, si elle est pour lui une nouvelle cause de soucis et de chagrins, mieux vaudrait... [...] Pourquoi vouloir détruire par des questions absurdes tout ce qui déjà existe entre eux? 578

Et pourquoi des gestes, quand nous savons tout? 582

«[...] L'artiste cherche une lueur dans le regard des et des êtres ; le cubiste leur ouvre le crâne, comme font ces enfants rageurs de la montre qu'on leur donne; et ils ne pourront plus jamais lire l'heure.» 600

Pudeur et vérité, tel est l'alliage délicat et fort qui sert de matière première à leur amour. 604

Chérie, pourtant, combien ce mot exprime exactement le sentiment acharné et douloureux qui tremble autour du nom de Geneviève! [...] Dernier mensonge après tous ceux qu'a exigés l'amour, avant le retour à la vérité qui ne vit que dans la solitude... 611

Tant pis, même en cette dernière lettre, la vérité garde des droits. 612

À quoi bon mettre des qualificatifs, quand sont seuls en question des objets, et le plus nus possible? 614

Au départ, l'amour se présente comme une libération. Quand il se révèle tout entier, il n'est que charge, sous le poids de laquelle peiner et s'affaiblir. 619

Je veux aller à la vérité avec toutes les forces de mon être. 620

Emmanuel aurait-il aimé être père? Il n'en a jamais parlé. 670

«Je ne peux pas fuir mon propre regard.» 670

Numérisation: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
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