Horace
Odes, Chants séculaires, Épodes, Satires, Épitres, Art poétique
Garnier-Flammarion 159, 1967.
ODES
«Quel garçon, bien jeune encore, et tout baigné de parfums, te presse, Pyrrha, au milieu des roses, dans cette grotte délicieuse. Pour qui attaches-tu tes cheveux blonds? Pour qui es-tu si simple dans ta coquetterie? Hélas! il pleurera souvent tes trahisons et celle des dieux, il sera stupéfait de la noirceur des vents et de la violence des flots, lui qui aujourd’hui, dans sa crédulité, jouit de ta beauté éclatante! Il espère que tu seras toujours à lui, que toujours tu seras aimable! Il ne sait pas que le vent tourne. Malheureux ceux qui t’admirent sans t’avoir connue! Mais moi, aux parois du temple, j’ai suspendu un ex-voto : ce sont mes vêtements encore tout ruisselants, que j’ai consacrés au maitre de la mer. »52
«N’espère pas, si tu veux m’en croire, qu’éternellement ce sauvage blessera ta bouche, si douce, que Vénus parfuma de la quintessence de son nectar.» 57
«Tu peux me placer dans des plaines où toute vie est morte, où pas un arbre n'est vivifié par les souffles de l'été, dans ces régions de l'univers qu'accablent les nuages et les maléfices d'un froid jupitérien. Tu peux me placer très près du soleil, sous son char, dans une terre inhabitable; toujours j'aimerai Lalagé au doux sourire, à la voix douce.» 62
«Tu m'évites, Chloé, et tu ressembles au faon qui, loin des routes, sur les montagnes, cherche sa mère timide, et a peur, sans raison, des vents légers et des arbres. Que l'arrivée du printemps fasse frémir et remuer les feuilles, que les verts lézards fassent bouger les ronces, son cœur tremble, comme ses genoux. Mais moi, vraiment, je ne suis pas un tigre sauvage, je ne suis pas un lion de Gétulie, et ce n'est pas pour te briser que je te poursuis. Laisse enfin ta mère; tu as l'âge d'aller avec un homme.» 62
«Aimé des Muses, j'abandonnerai la tristesse et la crainte à la violence des vents, qui les emporteront sur la mer de Crète; je ne chercherai pas à savoir qui règne dans les glaciales contrées sous l'Ourse, ou quels motifs de crainte peut avoir Tiridate. O douce Muse de Pimpla, toi qui aimes les fontaines auxquelles nul n'a puisé, tresse, avec les fleurs de l'été, tresse une couronne pour mon cher Lamia. Sans ton aide, mon hommage ne servirait à rien. C'est à toi et à tes sœurs d'immortaliser Lamia sur une lyre que Rome ne connaît pas encore, sur le luth lesbien.» 63 Annotation dans la marge: Ronsart
«Souviens-toi de conserver dans les heures difficiles une âme égale, et dans la prospérité une modération qui t'éloigne d'une joie insolente : car tu dois mourir, Dellius, soit que tu aies toute ta vie vécue dans l'affliction, soit qu'à l'écart, étendu sur le gazon, les jours de fête, tu aies trouvé le bonheur dans une coupe de Falerne tirée du fond de ton cellier. Pourquoi ce pin si élevé et ce peuplier blanc se plaisent-ils à mêler leurs branches et à ménager un joli coin d'ombre? Pourquoi cette eau fuit-elle en bondissant dans le lit sinueux de ce ruisseau ? C'est pour que là tu fasses apporter du vin, des parfums, les roses charmantes, malheureusement trop vite fanées, tant que le permettront les circonstances, ta jeunesse et le sombre écheveau que filent les trois sœurs. Un Jour, il faudra quitter les parcs, achetés l'un après l'autre, la son de ville, la maison de campagne, que baigne le Tibre jaune; et un héritier sera le maître de ces richesses amassées. Que l'on soit riche et issu de l'antique Inachus, ou pauvre et d'humble origine, peu importe : on ne passera qu'un temps sur la terre; on est une victime réservée à Orcus, le dieu sans pitié. Nous sommes tous poussés au même but; dans l'urne notre sort à tous est agité, il sortira un peu plus tôt, un peu plus tard; mais tous nous prendrons passage dans la barque pour l'exil éternel.» 72
«Suivre le bon chemin dans la vie, Licinius, c'est ne pas vouloir toujours gagner la haute mer, c'est aussi ne pas rester, par crainte de la tempête, trop près du rivage semé l'écueil.» 76
«Voudrais-tu échanger contre les richesses d'Achéménès, contre l'opulence des Mygdoniens de Phrygie, contre les riches demeures des Arabes, un seul cheveu de Licymnie, quand elle se détourne pour recevoir sur la nuque tes baisers brûlants, qu'elle a la cruauté de te les refuser, mais pour les accepter bien vite, qu'elle a plus de joie à se les laisser prendre que toi à les lui ravir, et que parfois elle est la première à te les donner.» 78
«On est heureux à peu de frais; il suffit que brille sur une table modeste la salière de famille et que le sommeil ne soit pas troublé par la crainte ou par de mauvais désirs. La vie est courte : dès lors, pourquoi tant d'efforts, pourquoi viser tant de buts ? Pourquoi chercher d'autres terres chauffées par d'autres soleils? Quitter son pays, est-ce se fuir soi-même ?» 80
«Mais je suis honnête; la veine de mon esprit est généreuse; je suis pauvre, et le riche me recherche. Je ne demande rien de plus aux dieux, et je ne sollicite pas autre chose de mon puissant ami : je suis assez riche avec ma terre de la Sabine.» 81
«Quelles pertes, quels dommages n'apporte point le temps ? Nos pères valaient moins que leurs pères; nous, leurs enfants, valons moins qu'eux; ceux que nous aurons vaudront moins encore.» 92
«Je vais, sans rien avoir sur moi, dans le camp des gens qui ne désirent rien; j'ai hâte d'abandonner, de fuir le parti des riches ; je suis plus glorieux de posséder ce que les autres dédaignent, que si j'avais la réputation d'enfouir dans mes greniers tout le blé récolté par le laborieux Apulien, restant misérable au milieu de tant de richesses. Un ruisseau aux eaux pures, un parc de quelques arpents, une moisson assurée me font un sort plus heureux qu'au riche qui se croit supérieur à moi par ses fertiles domaines d'Afrique.« 97
«... car nous sommes, hélas! jaloux de l'homme vertueux: nous ne pouvons le souffrir de son vivant; nous l'honorons quand il a disparu.» 102
«... ainsi j'aime à quitter les grands chemins pour admirer les rives et les bois solitaires.» 103
«Descendant des rois tyrrhéniens, Mécène, une jarre de vin doux, que l'on n'a pas encore inclinée, des roses en fleurs, et, pour parfumer tes cheveux, de l'huile de ben t'attendent chez moi depuis longtemps. Écarte tout ce qui pourrait retarder ta venue, et ne passe point ton temps à regarder de loin la fraîche Tibur, les pentes d'Efula et les sommets de Télégone le parricide. Quitte un instant ta vie opulente et les dégoûts qu'elle apporte; laisse ton palais qui s'élève jusqu'aux nuages, cesse un moment d'admirer les fumées, les richesses, les bruits de l'opulente Rome. Souvent les riches aiment le changement souvent, un repas élégant, mais simple, dans une maison modeste, sans tentures, sans coussins de pourpre, ont déridé leur front inquiet.» 105
«Un souffle puissant, Antoine, soutient le cygne dircéen toutes les fois qu'il monte jusqu'aux nuages. Je suis, moi, comme l'abeille du Matinus; péniblement, je butine le thym odorant dans la profondeur des bois, et je façonne, avec peine, humble poète, mes vers sur les frais rivages de Tibur.» 110
«Mon inspiration et ma gloire, si j'ai de la gloire, c'est ton bien.» 111
«Quand les mœurs s'affaiblissent, le mal enlaidit les âmes bien nées.» 112
«Les neiges se sont enfuies; déjà le gazon reparaît dans les champs et les feuilles sur les arbres. Comme chaque année, la terre se transforme; les fleuves décroissent et coulent à l'intérieur de leurs rives. La Grâce, avec les Nymphes, et ses deux sœurs, osent, toutes nues, conduire les danses. Ne compte pas sur l'immortalité tu es averti par la fuite des années et des jours que l'heure emporte et renouvelle. Les zéphyrs rendent le froid moins vif; le printemps est chassé par l'été, qui mourra à son tour, quand l'automne aura répandu ses dons et ses fruits; puis reviendra l'hiver, la saison où rien ne pousse.» 115
«... il est doux, à l'occasion, de perdre la raison.» 119
ÉPODES
«Lorsque nous aurons fait ce serment et tous ceux qui pourront nous interdire la douceur du retour, partons, tous les citoyens, ceux du moins qui sont supérieurs à une foule qui ne veut rien entendre; qu'elle persiste, cette foule lâche et sans espoir, à rester dans ses demeures condamnées par les dieux. Mais vous, qui avez du cœur, cessez de gémir comme des femmes et volez au-delà des rivages étrusques. Il nous reste l'immense océan gagnons les riches campagnes, les iles Fortunées chaque année, la terre, sans être cultivée, y prodigue le blé; sans être taillée, la vigne y prospère; les branches de l'olivier y bourgeonnent et ne trompent jamais; la figue mûre y fait la beauté d'un arbre qu'on n'a pas à greffer; le miel y coule du creux des chênes; l'eau légère y tombe avec bruit du haut des montagnes. Là, les chèvres viennent d'elles-mêmes se faire traire, et le troupeau ami apporte à l'étable ses mamelles gonflées de lait. Le soir, l'ours ne vient pas gronder autour de la bergerie, et le sol profond n'est pas gonflé de vipères. Et nous aurons le bonheur de voir encore d'autres merveilles le vent humide de l'Eurus ne ravinera pas les champs par des pluies abondantes; les semences fécondes ne se dessécheront pas dans les mottes, le roi des dieux réglant la pluie et la chaleur. Les rameurs du vaisseau Argo ne sont point allés vers cette terre, et Médée l'impudique n'y a pas mis le pied; les marins de Tyr n'ont point de ce côté tourné leurs antennes, pas plus que les misérables compagnons d'Ulysse. Les moutons n'ont à craindre aucune maladie; les troupeaux n'ont pas à souffrir des chaleurs excessives. Jupiter a réservé ces rivages à un peuple pieux, quand il remplaça l'âge d'or par l'âge de bronze, qui valait moins. Avec le bronze, puis le fer, il fit des âges plus durs les hommes à l'âme religieuse auront le bonheur d'y échapper, s'ils écoutent mes chants inspirés.» 141
SATIRES
«Cette indulgence, à mon avis, nous donne des amis et nous les garde.» 155
«La nature ne peut distinguer le juste et l'injuste, comme elle sépare l'utile de son contraire, ce qu'on doit rechercher de ce qu'il faut éviter. Et aucune argumentation ne permettra d'établir que la faute est la même et de même importance, si l'on brise dans le jardin du voisin un jeune plant de chou ou si, pendant la nuit, on dérobe des objets sacrés. Qu'une règle fixe la peine proportionnellement à la faute; qu'on ne déchire pas avec le fouet celui qui mérite simplement un coup de lanière.» 157 Annotation dans la marge: Justice
«Peu importe, dis-tu, le père que l'on a, pourvu qu'on ait soi-même des sentiments d'homme libre; ...» 164
167 Annotation dans la marge: Mène une vie sans problème, monotone mais juste, douce: il est heureux ainsi.
«J'ai vu moi-même Canidie errer dans ces lieux, sa robe noire retroussée, pieds nus, cheveux épars; elle était avec Sagana l'aînée; elle poussait des hurlements; toutes deux étaient effrayantes de pâleur. Elles se mirent à fouiller la terre de leurs ongles et à déchirer de leurs dents une agnelle noire; elles firent couler le sang dans la fosse pour en faire sortir les Mânes et avoir les réponses des âmes. Elles avaient deux poupées, l'une de laine, l'autre de cire; la première, plus grande, semblait vouloir châtier la seconde; celle de cire était à genoux, comme un esclave qui va mourir. L'une des deux sorcières invoqua Hécate, l'autre la cruelle Tisiphone; alors, on put voir les serpents et les chiens des enfers aller et venir autour d'elle, et la lune rougissante, pour ne pas être témoin de ces abominations, se cacher derrière les grands tombeaux. Si je mens si peu que ce soit, je veux que les corbeaux souillent ma tête de leur fiente blanche, que Julius, la molle Pédiatia et Voranus le voleur viennent faire sur moi toutes leurs turpitudes. A quoi bon tout raconter dans le détail ? pourquoi dire comment les ombres se mirent à converser avec Sagana d'une voix lugubre et aiguë, comment les deux femmes enfouirent secrètement en terre de la barbe de loup et une dent de couleuvre tachetée, comment une flamme plus haute consuma la poupée de cire, comment enfin, plein d'horreur pour les paroles et les actes de ces deux furies, je me vengeai de ce que j'avais vu et entendu. Mes fesses de figuier firent entendre un pet, sonore comme une vessie qui éclate. Et mes deux femmes de filer vers la ville; Canidie perd ses fausses dents, Sagana son énorme perruque, elles laissent tomber les herbes et les bandes de laine enchantées qu'elles avaient dans les bras beau spectacle, vraiment risible et amusant!» 169
«Celui qui s'est engraissé et a pris un teint blême à trop aimer la bonne chère, ne trouvera aucune joie à manger des huîtres, des sargets ou des gélinottes.» 178
«Apprends maintenant les avantages sérieux d'une vie frugale d'abord, une bonne santé; pour te rendre compte du mal que fait à l'estomac une nourriture trop variée, tu n'as qu'à songer à la facilité avec laquelle passe un seul plat.» 180
«(Damasippe) Une grenouille avait un moment laissé ses petits un veau les écrasa tous sous ses pieds, sauf un, qui raconta à sa mère qu'une énorme bête avait tué tous ses frères. « Une bête ? de quelle taille ? Est-ce que, en me gonflant, je suis aussi grosse qu'elle ? Plus petite de moitié! Était-elle donc si grosse? » Et elle s'enfle de plus en plus. « Même au risque de crever, dit le petit, tu ne l'égalerais pas. » C'est, ou bien peu s'en faut, ton portrait. Ajoute à cela ta manie d'écrire, c'est-à-dire mets de l'huile sur le feu. Si jamais poète a été raisonnable, tu l'es. Je ne parle pas de tes effroyables emportements.» 191 Annotation dans la marge: Lafontaine
201 Annotation dan la marge: Lafontaine
ÉPITRES
«C'est avoir fait la moitié de l'ouvrage que d'avoir commencé.» 215
«Quand on a le nécessaire, on ne devrait rien désirer de plus.» 215
222 Annotation dans la marge: Lafontaine
«À un homme simple peu de choses suffit.» 222
«Le cerf, plus fort que le cheval, l'avait chassé des pâturages qu'ils avaient jusqu'alors partagés; celui-ci, vaincu à la suite d'une longue lutte, demanda secours à l'homme et accepta le mors. Vainqueur à son tour, il écarta orgueilleusement son ennemi; mais il ne put plus se débarrasser de son cavalier ni se délivrer du mors. Ainsi celui qui, par crainte de la pauvreté, se prive de la liberté, ce bien supérieur à la richesse, aura la honte de se donner un maître et il sera éternellement esclave pour n'avoir pas su se contenter de peu. Ne pas proportionner ses désirs à sa situation, c'est avoir une chaussure qui ne va pas: trop grande, elle fait tomber; trop petite, elle blesse.» 226
«... et vivre toujours dans la crainte, c'est, à mes yeux, renoncer à être jamais libre.» 234
«C'est que le génie blesse de son éclat les talents qui lui sont inférieurs; qu'il disparaisse, on lui fera fête.» 243
«... mais c'est la foule, plutôt que les jeux, qu'il regarderait avec attention, parce qu'elle lui fournirait plus de sujets d'observation à coup sûr, il jugerait que le poète raconte sa pièce à un âne sourd.» 248
«Mais, que le navire qui me porte soit petit ou grand, je n'en ferai pas moins le voyage.» 256
ART POÉTIQUE
«Ainsi, dans un convoi funèbre, les pleureuses à gages crient et gesticulent plus que la famille, dont la douleur est vraie. Le flatteur, qui au fond se moque, se montre plus ému que celui qui, sincèrement, approuve.» 270
Numérisation: Pierre Rousseau - © 2020
Archives Pierre Rousseau
_______________________________________
Aucun commentaire:
Publier un commentaire