mardi 11 décembre 2018

Arts et lettres - Les chaises (Ionesco)

Eugène Ionesco, Théâtre 1, «Les chaises»
Gallimard, 1969.


Voici les extraits soulignés lors de la lecture de ce livre:

(...) tous ceux qui sont un peu savants, un peu propriétaires! 139 
J'avais souligné cette phrase, mais... pourquoi?

Il y a en vous un tel changement... Il y a en vous aucun changement... Je vous aimais, je vous aime... 150

LA VIEILLE, au Photograveur : Vous croyez vraiment, vraiment, que l'on peut avoir des enfants à tout âge? des enfants de tout âge? 152

LA VIEILLE, au Photograveur : Nous avons eu un fils... il vit bien sûr... il s'en est allé... c'est une histoire courante... plutôt bizarre... il a abandonné ses parents... il avait un cœur d'or... il y a bien longtemps... Nous qui l'aimions tant... il a claqué la porte... Mon mari et moi avons essayé de le tenir de force... il avait sept ans, l'âge de raison, on lui criait : Mon fils, mon enfant, mon fils, mon enfant... il n'a pas tourné la tête...
LE VIEUX : Hélas, non... non... nous n'avons pas eu d'enfant... J'aurais bien voulu avoir un fils... Sémiramis aussi... nous avons tout fait... ma pauvre Sémiramis, elle qui est si maternelle. Peut-être ne le fallait-il pas. Moi-même j'ai été un fils ingrat... Ah!... De la douleur, des regrets, des remords, il n'y a que ça... il ne nous reste que ça...
LA VIEILLE : Il disait : Vous tuez les oiseaux! pourquoi tuez-vous les oiseaux ?... Nous ne tuons pas les oiseaux... on n'a jamais fait de mal à une mouche... Il avait de grosses larmes dans les yeux. Il ne nous laissait pas les essuyer. On ne pouvait pas l'approcher. Il disait: si, vous tuez tous les oiseaux, tous les oiseaux... Il nous montrait ses petits poings... Vous montez, vous m'avez trompé! Les rues sont pleines d'oiseaux tués, de petits enfants qui agonisent. C'est le chant des oiseaux!... Non, ce sont des gémissements. Le ciel est rouge de sang... Non, mon enfant, il est bleu... Il criait encore : Vous m'avez trompé, je vous adorais, je vous croyais bons... les rues sont pleines d'oiseaux morts, vous leur avez crevé les yeux... Papa, maman, vous êtes méchants!... ]e ne veux plus rester chez vous... ]e me suis jetée à ses genoux... Son père pleurait. Nous n'avons pas pu l'arrêter... On l'entendit encore crier : C'est vous les responsables... Qu'est-ce que c'est responsable?
LE VIEUX : J'ai laissé ma mère mourir toute seule dans un fossé. Elle m'appelait, gémissait faiblement : Mon petit enfant, mon fils bien-aimé, ne me laisse par mourir toute seule... Reste avec moi. Je n'en ai pas pour bien longtemps. Ne t'en fais pas, maman, lui dis-je, je reviendrai dans un instant... j'étais pressé... j'allais au bal, danser. Je reviendrai dans un instant. 153

Page 153:


Quel mauvais temps! Comme il fait beau! 164

(...) l'individu et la personne, c'est une seule et même personne. 165

La vieille: Il a un air emprunté. Il nous doit beaucoup d'argent. 165

LA VIEILLE  (toujours faisant écho) : Votre plus fidèle serviteur, Majesté!
LE VIEUX : Votre serviteur, votre esclave, votre chien, haouh, haouh, votre chien, Majesté...
LA VIEILLE, pousse très fort des hurlements de chien : houh... houh... houh... 168

LA VIEILLE (écho) :  les os... les os... les os...
LE VIEUX : On prenait ma place, on me volait, on m'assassinait... J'étais le collectionneur de désastres, le paratonnerre des catastrophes...
LA VIEILLE (écho) : Paratonnerre... catastrophe... paratonnerre...
LE VIEUX : Pour oublier, Majesté, j'ai voulu faire du sport... de l'alpinisme... on m'a tiré par les pieds pour me faire glisser... j'ai voulu monter des escaliers, on m'a pourri les marches... Je me suis effondré... J'ai voulu voyager, on m'a refusé le passeport... J'ai voulu traverser la rivière, on m'a coupé les ponts... 171

(...) je n'ai pas de talent (...)172
Pourquoi ai-je souligné seulement ça? 

Pendant ce temps, sur l'estrade, l'Orateur est solennel, immobile, sauf la main qui, automatiquement, signe des autographes.
LE VIEUX : Aux propriétaires de cet immeuble, à l'architecte, aux maçons qui ont bien voulu élever ces murs!...
LA VIEILLE (écho) :  murs...
LE VIEUX : A tous ceux qui en ont creusé les fondations... Silence, Messieurs-dames...
LA VIEILLE (écho) : ...ssieurs-dames...
LE VIEUX : ]e n'oublie pas et j'adresse mes plus vifs remerciements aux ébénistes qui fabriquèrent les chaises sur lesquelles vous pouvez vous asseoir, à l'artisan adroit...
LA VIEILLE (écho) : ...droit...
LE VIEUX :  qui fit le fauteuil dans lequel s'enfonce mollement votre Majesté, ce qui ne l'empêche pas cependant de conserver un esprit dur et ferme... Merci encore à tous les techniciens, machinistes, électrocutiens...
La VIEILLE (écho) : ...cutiens, cutiens...
LE VIEUX :  aux fabricants de papier et aux imprimeurs, correcteurs, rédacteurs à qui nous devons les programmes, si joliment ornés, à la solidarité universelle de tous les hommes, merci, merci, à notre patrie, à l'État (il se tourne du côté où doit se trouver l'Empereur) dont votre Majesté dirige l'embarcation avec la science d'un vrai pilote... merci à l'ouvreuse... 175

LE VIEUX: Nous laisserons des traces, car nous sommes des personnes et non pas des villes. 178

Photo: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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