vendredi 14 décembre 2018

Philosophie - L'opium des intellectuels

L'opium des intellectuels, Raymond Aron,

Gallimard, Idées 175, 1968.

Quatrième de couverture:

Ce livre traite à la fois de l'état actuel des idéologies dites de gauche et de la situation de l’Intelligentsia, en France et dans le monde. Il essaye de donner réponse à quelques questions que d'autres que moi-même ont dû se poser : pourquoi le marxisme revient-il à la mode en une France dont l'évolution économique a démenti les prédictions marxistes?Pourquoi les idéologies du prolétariat et du partiront-elles d'autant plus de succès que la classe ouvrière est moins nombreuse? Quelles circonstances commandent, dans les différents pays, les manières de parler, de penser et d'agir des intellectuels ? R. A.


Voici les nombreux soulignements et les annotations lors de ma lecture de ce livre:

Les thèmes idéologiques sur lesquels la parole estudiantine multiplie les variations me paraissent au nombre de trois: société de consommation, démocratisation, refus de la hiérarchie dans le rapport pédagogique, celui-ci symbolisant les relations interpersonnelles dans l'entreprise et dans la société toute entière. 9

Que la production vise à la puissance militaire, à la conquête de l'espace ou au bien-être matériel, elle ne donne pas un sens à la vie et elle se paie: l'individu éprouve le sentiment, parfois jusqu'à l'angoisse, qu'en devenant maître et possesseur de la nature, l'homme s'est asservi lui-même à un projet inhumain. 10

Chaque génération part de l'acquis en vue de nouvelles aventures. Elle a raison, mais court un péril: répéter l'histoire à force de l'ignorer. 13

Les partis alternent au pouvoir: le parti de gauche reste de gauche, même s'il forme le gouvernement. 25

Grandiose et horrible, la catastrophe ou l'épopée révolutionnaire coupe en deux l'histoire de France. Elle semble dresser l'une contre l'autre deux France, dont l'une ne se résigne pas à disparaître et dont l'une ne se lasse pas de prolonger une croisade contre le passé. 27

D'un côté, on invoque la famille, l'autorité, la religion, de l'autre l'égalité, la raison, la liberté. Ici, on respecte l'ordre, lentement élaboré par les siècles, là on fait profession de croire à la capacité de l°homme de reconstruire la société selon les données de la science. 28

Soulignés dans la page 30: révolution constructive et révolution destructive.

La Grande Révolution (et probablement en va-t-il ainsi de toutes les révolutions) a renouvelé l'État en idée, mais elle l'a aussi rajeuni en fait. 44

(...) la nationalisation ne supprima pas, souvent elle accentue les inconvénients économiques du gigantisme. 45

La gauche s'efforce de libérer l'individu des servitudes proches; elle pourrait finir par le plier à la servitude, lointaine en droit, omniprésente en fait, de l'administration publique. 47

Les allocations familiales financées par une taxe sur les salaires, comme en France, favorisent les pères de famille ou les vieux aux dépens des jeunes et des célibataires, autrement dit aux dépens des plus productifs. 50

La gauche doit-elle être plus soucieuse d'éviter les souffrances que d'accélérer le progrès économique? 51

Quel que soit le régime, traditionnel, bourgeois ou socialiste, ni la liberté de l'esprit ni la solidarité humaine ne sont jamais assurées. La seule gauche, toujours fidèle à elle-même, invoque non la liberté ou l'égalité, mais la fraternité. Existe-t-elle? 52

Les Nouveaux Essais fabiens révèlent le désir de lutter désormais plus contre la richesse en tant que telle que contre la pauvreté. On veut éliminer les concentrations de fortune, qui  permettent à un individu de vivre sans travailler. 55

En bref, comment une société libre réussit-elle à assimiler une certaine dose de socialisme, à garantir la sécurité de tous, sans prévenir l'ascension des mieux doués ni ralentir l'expansion de la collectivité tout entière? 56

La gauche est animée par trois idées, non pas nécessairement contradictoires, mais le plus souvent divergentes : liberté contre l'arbitraire des pouvoirs et pour la sécurité des personnes, organisation afin de substituer, à l'ordre spontané de la tradition ou à l'anarchie des initiatives individuelles, un ordre rationnel, égalité contre les privilèges de la naissance et de la richesse. 62

Mais ceux qui ne veulent plus connaître ni droite ni gauche, parfois se transportent par l'imagination en une société rationalisée, d'où les planificateurs auraient éliminé la misère, mais aussi la fantaisie, la liberté. 61 Dans la marge: ?

En important telles quelles des machines, des usines, on risque de confondre l'optimum technique, calculé par les ingénieurs, avec l'optimum économique, variable selon les milieux. 61

La prise et l'exercice du pouvoir par la violence supposent des conflits que la négociation et le compromis ne réussissent pas à résoudre, autrement dit, l'échec des procédures démocratiques. Révolution et démocratie sont des notions contradictoires. 72

(...) le Français reste par excellence le révolutionnaire en mots et le conservateur en actes. 77

La critique de la religion conduit à la critique de la société. 81

Le vrai communiste accepte toute la réalité soviétique dans le langage qui lui est dicté. 96

Rêver la révolution, est-ce une manière de changer la France ou de la fuir? 96

Les révolutions naissent du désespoir ou de l'espérance plus que de l'insatisfaction. 100

Tous les prolétaires n'ont pas le sentiment d'être exploités ou opprimés. 113

Aussi la révolte prolétarienne tend-elle à s'organiser, à devenir révolutionnaire sous la direction d'un parti. 114

En quoi les travailleurs, victorieux de l'aliénation d'hier, différeraient-ils des travailleurs d'aujourd'hui? 115

Énumérons les griefs fondamentaux: 1° insuffisance de la rémunération; 2° durée excessive du travail; 3° menace du chômage total ou partiel; 4° malaises liés à la technique ou à l'organisation administrative de l'usine ; 5° sentiment d'être enfermés dans la condition ouvrière sans perspective de progression ; 6° conscience d'être victime d'une injustice fondamentale, soit que le régime refuse au travailleur une juste part du produit national, soit qu'il (?) 116

(...) de l'autre côté du rideau de fer. L'expansion économique y a servi à l'accroissement de la puissance plus qu'à l'été-(?) 117

Là où existaient des syndicats libres, n'existent plus que des organismes soumis à l'État, dont la fonction est d'inciter à  l'effort, non de revendiquer. Le risque de chômage a disparu, mais ont disparus aussi le libre choix du métier ou du lieu de travail, l'élection des dirigeants syndicaux, des gouvernants. 120

Le progrès de la technique élargit le rôle des bureaux d'études et de l'administration, il exige des ingénieurs une compétence supérieure, il diminue le nombre des purs et simples manœuvres, mais aussi celui des professionnels, accroît celui des ouvriers spécialisés auxquels quelques semaines d'apprentissage suffisent. 133

La planification, la propriété collective suppriment certaines formes de profit, mais non l'avidité des biens de ce monde, bref le désir d'argent. Socialiste ou capitaliste, l'économie moderne demeure inévitablement monétaire. 137

Le XXe siècle est celui des guerres de races ou de nations plus de la lutte des classes, au sens classique du terme. 140

En apparence, Révolution et Raison s'opposent exactement: celle-ci évoque le dialogue et celle-là la violence. (...) 143

Il est des êtres d'exception, mais non pas des collectivités d'exceptions. 147

L'homme est aussi un être moral et la collectivité n'est humaine qu'à la condition d'offrir une participation à tous. 149

Il ne s'agit plus, aujourd'hui, d'avancer toujours dans le même sens, mais d'équilibrer planification et initiative, rétributions équitables pour tous et incitation à l'effort, puissance de la bureaucratie et droits des individus, centralisation économique et sauvegarde des libertés intellectuelles. 150

168 Dans la marge: MARX

L'oeuvre du grand homme résiste au jugement de l'avenir qu'il ne connaissait pas. 189

Les combattants ont toujours eu tendance à interpréter la conduite des autres dans leur propre système de perception. 191

Orthodoxes et idéalistes commencent par détacher l'acte de l'acteur, de ses intentions et des circonstances; ils le mettent en place dans leur lecture des événements. 191

Les hommes sont ce qu'ils font. 193 Dans la marge: *

Les erreurs jointes de l'absolutisme et du relativisme sont également réfutées par une logique de la connaissance rétrospective des faits humains. L'historien, le sociologue, le juriste dégagent les sens des actes, des institutions, des lois. Ils ne découvrent pas le sens du tout. L'histoire n'est pas absurde, mais nul vivant n'en saisit le sens dernier. 195

D'une certaine manière, chaque fragment d'histoire est inépuisable. 198 Dans la marge: *

Pas davantage on ne saisit, à travers les documents ou par expérience directe, un atome historique. Une bataille a été livrée par des milliers ou des millions de combattants dont chacun l'a vécue d'une certaine façon. Le texte d'un traité est, physiquement, une chose. 199

Une philosophie de l'histoire (...) L'histoire n'est certainement pas une «simple somme de faits juxtaposés»; est-elle «totalité dans l'instant»? Les éléments d'une société sont solidaires les uns des autres, ils s'influencent réciproquement, ils ne constituent pas une totalité. 204

La psychanalyse existentielle postule une unité analogue dans le choix que fait d'elle-même chaque conscience :  l'unité n'est pas celle d'un acte -- la conscience reste toujours libre de se reprendre --, mais celle de la signification que revêt l'existence entière, repensée par l'observateur en se référant à un problème unique, équivalent, dans une philosophie athée, du problème du salut. L'aventure des hommes à travers le temps a un sens dans la mesure où tous ensemble cherchent collectivement à faire leur salut. 212

(...) la richesse collective permettra de donner à l'un sans prendre à l'autre. 215

(...) obtenir de l'inférieur qu'il reconnaisse le supérieur sans subir de contrainte, ni aliéner sa dignité. 218

Les haines de races survivront aux distinctions de classes. 218

On conçoit la « solution radicale ›› du problème politique comme la solution radicale du problème économique. On peut même retrouver l'équivalent de la distinction entre « l'état stationnaire» et « l'abondance absolue ››. Dans l'état stationnaire politique, à l'intérieur des collectivités, tous participeraient à la cité, les gouvernants commanderaient sans recourir à la force et les gouvernés obéiraient sans éprouver d'humiliation. Entre les collectivités, la paix dévaloriserait les frontières et garantirait les droits des individus. À l'abondance absolue répondrait l'universalité de l'État et l'homogénéité des citoyens, concepts non proprement contradictoires, mais qui se situent au-delà de l'horizon historique. Ils supposent un changement fondamental des données de la vie en commun.219

En fait, rien n'est réglé et les mêmes nécessités d'accumulation, de rémunérations inégales, d'incitation à l'effort, de discipline de travail subsistent après la révolution. 221 Note dans la marge: Parti communiste au pouvoir

Les idolâtres de l'histoire multiplient les dévastations, non parce qu'ils sont animés de bons ou de mauvais sentiments, mais parce qu'ils ont des idées fausses. 225

(...) qu'on y découvre un mode commun de penser et de réagir. 226

Un État universel (...) 226

Si d'autres hommes (par ex. Hitler)avaient agi autrement (...) «tout serait revenu au même» ? 230 Dans la marge: NON

Le fait dépendait de causes innombrables, positives ou permissives, comparable aux causes innombrables qui amènent l'arrêt de la boule sur un numéro plutôt que sur un autre. 232

(...) l'oeuvre du héros avait été préparée par l'histoire, même si un autre lui eût donné des caractères différents. 234 Dans la marge: *

(...) nous affirmons seulement que ce devenir n'est pas soumis à un déterminisme inflexible. 248

(...) aucun siècle n'a évité le fléau des guerres. 249

Que le monde soit capitalisme ou socialiste, le plus fort gardera de multiples moyens d'influencer les prix à son bénéfice ou de se réserver des chasses gardées. Aucun régime économique ne garantit la paix, aucun, à lui seul, ne rend les guerres inévitables. 250

Pour qu'on pût annoncer avec certitude la destruction des sociétés capitalistes, ou leur conversion au socialisme, on devrait démontrer que la conjoncture présente n'offre que deux issues : la victoire du camp socialiste ou la conversion au socialisme du camp capitaliste. 252 

254 Dans la marge: 3e guerre mondiale

Une des faiblesses de l'Occident est d'accorder quelque crédit à la prédiction de l'avènement inévitable du socialisme et de laisser à l'ennemi la conviction d'une complicité avec le destin.  255

Le capitalisme se modifie en durant, il ne se détruit pas lui-même. 256

(...) qu'elle et la nature du lien entre deux moments de l'histoire? 257 Dans la marge: *

Dans chaque univers spécifique, la distinction entre actes et œuvres prend une autre portée. 259 

La prévision de l'avenir peut-elle invoquer la rationalité des univers intelligibles? De quel univers intelligible? 262

Les régimes sont différents et non contradictoires et les formes dites intermédiaires plus fréquentes et plus durables que les formes pures. 264

Les révolutions inclinent à exagérer et la marge de leur liberté et la puissance du destin. 265 Dans la marge: *

(...) cet avenir qu'ils sont incapables de décrire et qu'ils prétendent annoncer. 265 Dans la marge: *

La conscience historique fait paraître les limites de notre savoir. 269

La conscience historique enseigne le respect de l'autre, même quand nous les combattons. 269

Par l'action, l'homme s'est créé lui-même en transformant la nature. 272

Puisque la civilisation bourgeoise corrompt l'art, le réalisme socialiste le sauvera.
On ne s'en tient pas là. L'homme lui-même, nous dit-on, sera régénéré par le changement de ses conditions d'existence. L'emploi de procédés typiquement capitalistes, adaptés à l'égoïsme éternel, salaires  aux pièces et fonds de profit pour les managers, ne suggère pas que l'homme nouveau naisse de lui-même. Encore une fois, les gouvernants vont aider la nature historique, les ingénieurs des âmes accélérer. 274

(...) d'une manipulation de l'histoire (...). Les révolutionnaires s'imaginaient qu'ils allaient commander, non à quelques éléments, mais au tout. 277

(...) la catégorie aurait pour centre les créateurs et, pour frontières, la zone mal définie où les vulgarisateurs cessent de traduire et commencent de trahir: soucieux de succès ou d'argent, esclaves du goût supposé du public, ils deviennent indifférents aux valeurs qu'ils font profession de servir. 284

(...) et l'on baptise intelligentsia la catégorie des individus qui ont reçu, dans les universités, les écoles techniques, la qualification nécessaire à l'exercice de ces métiers d'encadrement. 287

(les intellectuels) ne se contentent pas de vivre, ils veulent penser leur existence. 289

 (...) toujours l'intelligentsia s'étend plus loin et s'ouvre davantage que la classe dirigeante et cette démocratisation tend à s'accentuer parce que les sociétés industrielles ont un besoin croissant de cadres et de techniciens.  290

Écrivain ou artiste, l'intellectuel est l'homme des idées ; savant ou ingénieur, l'homme de science. Il participe de la foi en l'homme et en la raison. 290

(...) dire non à tout, c'est finalement tout accepter. 292

Combien d'intellectuels ont été vers le parti révolutionnaire par indignation morale, pour souscrire finalement au terrorisme et à la raison d'État! 292

295 souligné dans la page: le professionnel de l'intelligence.

(...) on oublia le pays et ses humbles problèmes pour s'abandonner au délire idéologique. 298

Les intellectuels souffrent plus de l'hégémonie des États-Unis que les simples mortels. 300

Les États-Unis restent optimiste la manière du XVe siècle européen : ils croient la possibilité d'améliorer le sort des hommes, ils se méfient du pouvoir qui corrompt, ils demeurent sourdement hostiles à l'autorité, aux prétentions de quelques-uns à connaître mieux que le common man la recette du salut. On n'a de place ni pour la Révolution ni pour le prolétariat, on ne connaît que l'expansion économique, les syndicats et la Constitution. 313

L'intelligentsia supporte mieux la persécution que l'indifférence. 313

La France exalte ses intellectuels qui la vomissent, les États-Unis manquent d'indulgence à l'égard des leurs qui pourtant les exaltent. 315

Les intellectuels américains sont, à l'heure présente, en quête d'ennemis. 321

(...) «l'occidentalisation sans la liberté» ou encore de «l'occidentalisation contre l'Occident». 327

Les Américains aiment à imaginer que la Russie menace les peuples libres et qu'eux-mêmes les protègent. 328

Les débats idéologiques diffèrent de pays à pays (...). 329

(...) le communisme pose à la France un problème politique, non spirituel. 336

(...) l'art des intellectuels américains de transfigurer en querelles morales des controverses qui concernent bien plutôt les moyens que les fins, l'art des intellectuels français d'ignorer et, bien souvent, d'aggraver les problèmes propres à la nation, par volonté orgueilleuse de penser pour l'humanité entière. 340

Au Japon aussi, les intellectuels se sentent humiliés que leur pays soit entretenu et protégé par les États-Unis. 341

Les idées progressistes, qui imprègnent maîtres et étudiant dans les universités d'Occident, tendent à «aliéner» le jeune intellectuel des sociétés traditionnelles et à le dresser contre la domination européenne. 341

Les élèves des Britanniques prennent modèle sur la réalité, les élèves des Français sur l'idéologie de l'Occident.  La réalité est toujours plus conservatrice que l'idéologie. 351

L'intellectuel qui ne sent plus lié à rien, ne se satisfait pas d'opinions, il veut une certitude, un système. La Révolution lui apporte son opium.  352

(...) une religion de l'Histoire comme le communisme (...) 352 Dans la marge: le communisme: une religion de l'Histoire.

Il n'y a pas de gouvernement du peuple par le peuple (...) 353

Quels que soient leurs emprunts au-dehors, les peuples ont à forger eux-mêmes leur avenir. 356

(...) penser le monde avant de prétendre à le changer. 357

Le communisme s'est développé à partir d'une doctrine économique et politique, à une époque où déclinaient la vitalité spirituelle et l'autorité des Églises. 361

 En ce sens vague, tous les mouvements politiques qui ont agité l'Europe moderne ont eu un caractère religieux. On n'y retrouve pourtant pas les cadres ou l'essence d'une pensée religieuse. À cet égard, le communisme est unique. 362

Prophétisme et scolastique joints suscitent des sentiments analogues aux sentiments religieux: foi dans le prolétariat et dans l'Histoire, charité pour ceux qui aujourd'hui souffrent et demain seront triomphants (...). 365

On dira que la foi communiste ne se distingue d'une opinion politico-économique que par l'intransigeance. 366

(...) de la rivalité entre socialistes et communistes. 367

(...) Marx a prophétisé la fin de la préhistoire, grâce à la puissance des machines et la révolte des prolétaires. 372

Le chrétien ne peut jamais être un authentique communiste (...). 372

Le communisme me semble être la première religion d'intellectuels qui ait réussi. 377

Théologie et métaphysique d'une part, savoir positif de l'autre: termes incompatibles. 377

(...) la science ne permet plus de croire ce qu'enseigne l'Église. La foi disparaîtra peu à peu ou se dégradera en superstition à l'usage du vulgaire. 378 Dans la marge: *

Seuls les intellectuels sont capables d'inventer, peut-être même de prêcher, un substitut des dogmes anciens malgré tout acceptables aux savants. 378

On n'a jamais oublié la phrase fameuse «une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d'hommes», que Hitler aurait approuvée. 379

Être suprême, Raison seraient l'objet d'une croyance qui, épurée de toute superstition, servirait de fondement à une patrie, promise par sa vertu à un destin sans frontière. 380

Au communisme s'applique la formule de Michelet: «La Révolution n'adopta aucune Église. Pourquoi? C'et qu'elle était une Église elle-même.» 382

L'astrologie n'a pas été, d'un coup, éliminée par l'astrologie scientifique,  l'histoire positive ne chasse pas les mythologies historiques. 383

(L'idéologie) une juste rétribution dans l'au-delà historique, c'est-à-dire dans l'avenir. 385

Le communisme est donc moins une religion, dont le christianisme continue d'offrir le modèle aux Occidentaux, qu'une tentative politique pour en trouver un substitut dans une idéologie érigée en orthodoxie d'État. 386

L'idéologie devient dogme en consentant à l'absurdité. 388

(...) la réalité soviétique ne serait plus ce qu'elle est, une méthode brutale de modernisation, sous le commandement d'un parti unique, désigné non par le Destin, mais par les péripéties imprévisibles des luttes entre les hommes. 389

La Révolution peut être permanente, l'esprit révolutionnaire se perd. 390

Marx appelait la religion l'opium du peuple. Qu'elle le veuille ou non, l'Église consolide l'injustice établie. Elle aide les hommes à supporter et à oublier leurs maux, au lieu de les guérir. 393

L'opium chrétien rend le peuple passif, l'opium communiste l'incite à la révolte. 394

Qui ne croit pas en Dieu ne se sent pas hostile aux religions de salut qui proclament des vérités éternelles : l'homme n'épuise pas sa destination dans sa destinée sociale; la hiérarchie du commandement et de la richesse ne reflète pas celle des valeurs ; l'échec, dans la Cité, ouvre parfois le chemin des plus hautes réussites, une mystérieuse fraternité unit les hommes, en dépit de la lutte de tous contre tous. 396 Dans la marge: 2 lignes verticales

La subordination des experts aux entreprises qui les emploient caractérisera demain tous les pays de civilisations industrielles. 402

Il ne se sent pas esclave puisqu'il adhère à l'idéologie qui unit le peuple, le parti et les pouvoirs publics. Il échappe à l'isolement, aux difficultés de gagner sa vie par la plume, aux rigueurs du deuxième métier, à l'ennui du rewriting. On ne lui demande, en contrepartie, qu'un seul  sacrifice : dire oui au régime, dire oui au dogme et à ses interprétations quotidiennes, concession inévitable, qui pourtant porte le germe d'une corruption totale. 404 

Page 405:


Si la trahison consiste à valoriser le temporel et à dévaloriser l'éternel, les intellectuels de notre temps trahissent tous. 405

L'avenir appartiendrait à des citoyens, libres et égaux. 411

L'intellectuel qui se veut essentiellement nationaliste doit interpréter l'histoire comme la lutte permanente des État-fauves (...). 412

Les sociétés mécaniciennes ne se convertissent pas à la paix: elles délivrent l'homme des servitudes de la pauvreté et de la faiblesse, elles plient des millions de travailleurs à la logique de la production en grande série, elles risquent de traiter les personnes en matériau. 415

Les idéologues du prolétariat viennent de la bourgeoisie. 416

Le prolétariat n'a jamais eu de conception du monde opposée à celle de la bourgeoisie; il y a eu une idéologie de ce que devrait être ou faire le prolétariat, idéologie dont l'emprise historique semble d'autant plus grande que le nombre des ouvriers d'industrie est plus petit. 417 Dans la marge: 2 traits verticaux

Les régimes dits prolétariens, c'est-à-dire gouvernés par les partis communistes, ne doivent presque rien à la culture proprement ouvrière, aux partis ou aux syndicats dont les dirigeants appartenaient eux-mêmes à la classe ouvrière. 417

Dans l'espoir d'accomplir pleinement les ambitions de la bourgeoisie - conquête de la nature, égalité des hommes ou des chances - les idéologues avaient transmis le flambeau au prolétariat. 417

Les révolutions du XXe siècle que l'on baptise prolétariennes, sont pensées et conduites par des intellectuels. 419

(...) le monde ne peut vivre mi-esclave, mi-libre. 420

Le contraste entre l'accroissement des moyens de production et l'aggravation, apparente ou réelle, des souffrances populaires aurait suscité des utopies, prophétisant le progrès sans larmes ou des catastrophes fécondes. 420

La conscience politique de notre temps est faussée par la méconnaissance de ces particularités. 422

Le monde libre commettrait une erreur fatale s'il croyait posséder une idéologie unique, comparable au marxisme-léninisme. 424

La nostalgie d'une idée universelle et l'orgueil national déterminent l'attitude des intellectuels français. 427

Religion d'intellectuels, le communisme (...). 427

Le communisme répand une version dégradée du message occidental. Il en retient l'ambition de conquérir la nature, d'améliorer le sort des humbles, il sacrifie ce qui demeure l'âme de l'aventure indéfinie : la liberté de recherche, la liberté de controverse, la liberté de critique et de vote du citoyen. Il soumet le développement de l'économie à une planification rigoureuse, l'édification socialiste à une orthodoxie d'État. 428 Dans la marge: 3 traits verticaux

C'est le prophétisme qui confère au communisme une sorte de substance spirituelle. 429

Peut-être les hommes peuvent-ils vivre sans adorer un dieu en esprit et en vérité. Ils ne vivront pas longtemps, après la victoire, dans l'attente du paradis sur terre. 430 Dans la marge: 2 traits verticaux et une *

L'État qui impose une interprétation orthodoxe des événements quotidiens, nous impose aussi une interprétation du devenir global et finalement du sens de l'aventure humaine. 431

Maîtres des particules nucléaires et esclaves de l'obsession d'espionnage, les savants ont le sentiment de perdre tout contrôle sur leurs découvertes dès qu'ils en transmettre le secret aux généraux et aux ministres. 432 Dans la marge: savants et *
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L'Opium des intellectuels est un livre écrit par le philosophe français Raymond Aron et paru en 1955. Le livre dans un premier temps raconte les mythes sur lesquels reposent l'idéologie de la gauche, puis sur la vision de l'histoire du marxisme, pour enfin étudier les raisons qui expliquent la fascination de cette idéologie sur les intellectuels. Ce livre a pour objectif de répondre à la question de savoir pourquoi ce courant revient à la mode en France. [1968](Source: Wiki)

Photo: Pierre Rousseau - © 2018
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