lundi 6 mai 2019

Philosophie - Pensées pour moi-même (Marc-Aurèle)

J'ai lu ce livre le 14 janvier 1980:


Pensées pour moi-même; Manuel d'Épictète

par Marc-Aurèle
Garnier-Flammarion, 1964 ; 16

Voici les notes et soulignements de Pensées pour moi-même:

Se comporter en adversaires les uns des autres est donc contre nature, et c’est agir en adversaire que de témoigner de l’animosité et de l’aversion. 43

Or, ce qui conserve le monde, ce sont les transformations des éléments, aussi bien que celles de leurs combinaisons. 44

[...] et à donner congé à toutes les autres pensées. Tu le leur donneras, si tu accomplis chaque action comme étant la dernière de ta vie,[...] 44

Or, la mort et la vie, la gloire et l’obscurité, la douleur et le plaisir, la richesse et la pauvreté, toutes ces choses échoient également aux bons et aux méchants, sans être par elles-mêmes ni belles ni laides. Elles ne sont donc ni des biens ni des maux. 46  - Dans la marge: un X

La mort pourtant n’est pas uniquement une action naturelle, mais c’est encore une œuvre utile à la nature. 47

[...] ce qui vient des hommes est digne d’amour, en vertu de notre parenté commune ; 47

C’est du seul présent, en effet, que l’on peut être privé, puisque c’est le seul présent qu’on a et qu’on ne peut perdre ce qu’on n’a point. 48
Sa vie est une guerre, un séjour sur une terre étrangère ; sa renommée posthume, un oubli. Qu’est-ce donc qui peut nous guider ? Une seule et unique chose : la philosophie. Et la philosophie consiste en ceci : à veiller à ce que le génie qui est en nous reste sans outrage et sans dommage, et soit au-dessus des plaisirs et des peines ; à ce qu’il ne fasse rien au hasard, ni par mensonge ni par faux-semblant ; à ce qu’il ne s’attache point à ce que les autres font ou ne font pas. Et, en outre, à accepter ce qui arrive et ce qui lui est dévolu, comme venant de là même d’où lui-même est venu. Et surtout, à attendre la mort avec une âme sereine sans y voir autre chose que la dissolution des éléments dont est composé chaque être vivant. Si donc pour ces éléments eux-mêmes, il n’y a rien de redoutable à ce que chacun se transforme continuellement en un autre, pourquoi craindrait-on la transformation de leur ensemble et sa dissolution ? C’est selon la nature ; et rien n’est mal de ce qui se fait selon la nature. 49 Dans la marge: un X

Il faut donc se hâter, non seulement parce qu’à tout moment nous nous rapprochons de la mort, mais encore parce que nous perdons, avant de mourir, la compréhension des questions et le pouvoir d’y prêter attention. 54  - Dans la marge: un I majuscule

Il faut encore prendre garde à ceci : les accidents mêmes qui s’ajoutent aux productions naturelles ont quelque chose de gracieux et de séduisant. Le pain, par exemple, en cuisant par endroits se fendille et ces fentes ainsi formées et qui se produisent en quelque façon à l’encontre de l’art du boulanger, ont un certain agrément et excitent particulièrement l’appétit. De même, les figues, lorsqu’elles sont tout à fait mûres, s’entr’ouvrent ; et, dans les olives qui tombent des arbres, le fruit qui va pourrir prend un éclat particulier. Et les épis qui penchent vers la terre, la peau du front du lion, l’écume qui s’échappe de la gueule des sangliers, et beaucoup d’autres choses, si on les envisage isolément, sont loin d’être belles, et pourtant, par le fait qu’elles accompagnent les œuvres de la nature, elles contribuent à les embellir et deviennent attrayantes. 54  - Dans la marge: un trait vertical qui ne délimite pas bien le texte choisi.

Tu t’es embarqué, tu as navigué, tu as accosté : débarque ! 55  - Dans la marge: un ?

Il faut t’habituer à n’avoir que les seules idées à propos desquelles, si on te demandait soudain : « À quoi penses-tu maintenant ? » tu puisses incontinent répondre avec franchise : « À ceci et à cela. » De cette façon, on pourrait voir aussitôt et avec évidence, que tout en toi est simple, bienveillant, digne d’un être sociable, indifférent aux idées de volupté ou, pour tout dire en un mot, de jouissances, insensible encore à la haine, à l’envie, à la défiance et à toute autre passion dont tu rougirais, s’il fallait avouer que ton esprit la possède. 55  - Dans la marge: * et un I majuscule

Il ne fait donc aucun cas de l’approbation de tels hommes qui ne savent pas eux-mêmes se contenter par eux-mêmes. 56

Il faut être droit, et non pas redressé. 56

Suprême liberté: il vivra sans rechercher ni fuir quoi que ce soit. 57

Corps, âme, intelligence. Au corps, les sensations ; à l’âme, les impulsions ; à l’intelligence, les principes. 60

Et, même si tous les hommes se refusent à croire qu’il vit avec simplicité, réserve et débonnaireté, il ne s’irrite contre personne, et il ne dévie pas de la route qui mène au terme de la vie, terme qu’il faut atteindre en étant pur, calme, dégagé, et en s’accommodant sans violence à sa destinée. 61

On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, [...] 65
[...] que se supporte ete une partie de la justice [...] 66  - Dans la marge: *

Songes-y constamment. « Le monde est changement ; la vie, remplacement 41. » 67 Note: Pensée de Démocrite. Cf. Démocrite, dans Diels, frag. 115.

La mort est, comme la naissance, un mystère de la nature : combinaison dans l’un des mêmes éléments qui se séparent dans l’autre. 67

De nombreux grains d’encens sont jetés sur le même autel ; l’un y est tombé plus tôt, l’autre plus tard, mais c’est sans importance. 69

En moins de dix jours, tu paraîtras un dieu à ceux qui maintenant te regardent comme un fauve ou un singe, pourvu que tu reviennes aux principes et au culte de la raison. 69  - Dans la marge: 2 traits verticaux + *

Si les âmes survivent, comment, depuis l’éternité, l’air suffit-il à les contenir ? Et comment la terre suffit-elle à contenir les corps de ceux qui sont morts depuis la même éternité ? De même qu’ici-bas, en effet, les corps, après avoir séjourné quelque temps dans la terre, se transforment, se dissolvent et font place à d’autres cadavres : de même, les âmes, transportées dans les airs, après s’y être maintenues quelque temps, se transforment, se dispersent et s’enflamment, reprises dans la raison génératrice du Tout, et, de cette façon, font place aux âmes qui viennent y chercher une autre résidence. Voilà ce qu’on pourrait répondre dans l’hypothèse de la survivance des âmes. Et il ne faut pas considérer seulement la foule des corps ensevelis de cette sorte, mais encore celle des animaux que nous mangeons chaque jour et que dévorent aussi les autres animaux. Car quel nombre en est ainsi consommé et enseveli, pour ainsi dire, dans les corps de ceux qui s’en nourrissent ? Et cependant il y a place pour eux, parce qu’ils se convertissent en sang, parce qu’ils se transforment en air ou en feu. Quel est sur ce point le moyen de découvrir la vérité ? La distinction entre la matière et la cause formelle. 70

En effet, la plupart de nos paroles et de nos actions n’étant pas nécessaires, les supprimer est s’assurer plus de loisir et de tranquillité. 71
Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement. Le reste de ta vie, passe-le en homme qui, de toute son âme, compte sur les Dieux pour tout ce qui le concerne, et qui ne se fait ni le tyran ni l’esclave d’aucun des hommes. 73  - Dans la marge: 2 traits verticaux + *

A ceci seulement : une pensée conforme à la justice, une activité dévouée au bien commun, un langage tel qu’il ne trompe jamais, une disposition à accueillir tout ce qui nous arrive comme étant nécessaire, comme étant attendu, comme découlant du même principe et de la même source. 74

Tout est éphémère, et le fait de se souvenir, et l’objet dont on se souvient. 74

Tout être, en quelque sorte, est la semence de l’être qui doit sortir de lui. 74

Aucun mal ne survient aux êtres en vole de transformation, comme aucun bien n’arrive à ceux qui naissent d’une transformation. 75  - Dans la marge: ?

Se souvenir aussi « de l’homme qui oublie où le chemin conduit 49 » 76 Note: 49 Cf. HÉRACLITE, dans Diels, frag. 71.

Ceci n’est pas un revers, mais c’est un bonheur que de noblement le supporter. 77

Va toujours par le chemin le plus court, et le plus court est celui qui va selon la nature. Voilà pourquoi il faut agir et parler en tout de la façon la plus naturelle. Une telle ligne de conduite te délivrera de l’emphase, de l’exagération et du style figuré et artificiel. 78
Au petit jour, lorsqu’il t’en coûte de t’éveiller, aie cette pensée à ta disposition : c’est pour faire œuvre d’homme que je m’éveille. 82  - Dans la marge: *

Il faut donc aimer pour deux raisons ce qui t’arrive. L’une parce que cela était fait pour toi, te correspondait, et survenait en quelque sorte à toi, d’en haut, de la chaîne des plus antiques causes. L’autre, parce que ce qui arrive à chaque être en particulier contribue à la bonne marche, à la perfection et, par Zeus ! à la persistance même de Celui qui gouverne la nature universelle. L’univers, en effet, se trouverait mutilé, si tu retranchais quoi que ce soit à la connexion et à la consistance de ses parties, tout comme de ses causes. Or, tu romps cet enchaînement, autant que tu le peux, lorsque tu es mécontent de ce qui t’arrive et que, dans une certaine mesure, tu le détruis. 85
Or, le bien d’un être raisonnable est de vivre en société. 88

Ce qui ne lèse point la cité ne lèse pas non plus le citoyen. Toutes les fois que tu te figures qu’on t’a lésé, applique cette règle : si la cité n’est pas lésée, je ne suis pas non plus lésé. Mais si la cité est lésée, il ne faut pas s’indigner contre celui qui la lèse, mais lui signaler la négligence commise. 89  - Dans la marge: ?

Médite fréquemment la rapidité avec laquelle passent et se dissipent les êtres et les événements. La substance est, en effet, comme un fleuve, en perpétuel écoulement ; les forces sont soumises à de continuelles transformations, et les causes formelles à des milliers de modifications. Presque rien n’est stable, et voici, tout près, le gouffre infini du passé et de l’avenir, où tout s’évanouit. Comment ne serait-il pas fou, celui qui s’enfle d’orgueil parmi ce tourbillon, se tourmente ou se plaint, comme si quelque chose, pendant quelque temps et même longtemps, pouvait le troubler ? 89  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Or, je veux ce qui est conforme à la nature d’un être raisonnable et sociable. 91
C’est, en effet, une des actions de ta vie que le fait de mourir. Il suffit donc, pour cet acte aussi, de bien faire ce qu’on fait dans le moment présent. 97  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Quelle façon d’agir ! Les hommes de leur temps et qui vivent avec eux, ils ne veulent pas les louer, mais ils tiennent beaucoup à être eux-mêmes loués par ceux qui viendront après eux, qu’ils n’ont jamais vus et ne verront jamais. C’est à peu près comme si tu t’affligeais de ce que ceux qui t’ont précédé n’ont pas tenu sur toi des propos louangeurs. 101

La mort est la cessation des représentations qui nous viennent des sens, des impulsions qui nous meuvent comme avec des cordons, du mouvement de la pensée et du service de la chair. 103

Une seule chose ici-bas est digne de prix: passer sa vie dans la vérité et dans la justice, en se gardant indulgent aux menteurs et aux injustes. 108  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Celui qui aime la gloire met son propre bonheur dans les émotions d’un autre ; celui qui aime le plaisir, dans ses propres penchants ; mais l’homme intelligent, dans sa propre conduite. 109  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Habitue-toi à être attentif à ce qu’un autre dit, et, autant que possible, entre dans l’âme de celui qui parle. 109  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Ce qui n’est pas utile à l’essaim n’est pas utile à l’abeille non plus. 110

Que les choses à venir ne te tourmentent point. Tu les affronteras, s’il le faut, muni de la même raison dont maintenant tu te sers dans les choses présentes. 114

Comme les membres du corps chez les individus, les essences raisonnables, bien qu’appartenant à des êtres distincts, sont, sous un rapport analogue, constituées pour agir de concert. Cette pensée te frappera davantage, si tu te dis souvent à toi-même : « Je suis membre du corps des essences raisonnables. » Mais, si tu te dis, avec la lettre P : « J’en suis partie (70) », tu n’aimes pas encore du fond du cœur les hommes, tu ne te plais pas encore absolument à leur faire du bien, car si tu fais le bien simplement par devoir, tu ne fais pas encore ce bien comme à toi-même. 115 Note: 70 Membre, mélos, et partie, méros, ne diffèrent en grec, que par une seule lettre : la lettre P.

Bientôt tu auras tout oublié ; bientôt tous t’auront oublié. 117

Efface l’imagination. Arrête cette agitation de pantin. Circonscris le moment actuel. Comprends ce qui t’arrive, à toi ou à un autre. Distingue et analyse, en l’objet qui t’occupe, sa cause et sa matière. Pense à ta dernière heure. La faute que cet homme a commise, laisse-la où la faute se tient. 118  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Ne porte pas tes regards sur le principe directeur des autres, mais regarde droit où te conduit la nature : la nature universelle, par les accidents qui t’arrivent, et ta propre nature, par les devoirs qu’elle t’impose. Chaque être doit accomplir, en effet, ce qui est en accord avec sa constitution. Tous les autres êtres ont été constitués en vue des êtres raisonnables, comme, dans n’importe quel ordre, les choses inférieures en vue des supérieures, mais les êtres raisonnables l’ont été les uns pour les autres. Dans la constitution de l’homme, le caractère essentiel est donc la sociabilité. Le second, c’est la faculté de résister aux sollicitations corporelles, car le propre du mouvement de la raison et de l’intelligence est de se donner sa limite à lui-même et de ne jamais être vaincu par les mouvements des sens ni par ceux de l’instinct. Ces deux mouvements, en effet, sont de nature animale. Mais le mouvement de l’intelligence veut prédominer et ne pas être maîtrisé par eux, et cela, à juste titre, car il est d’une nature à pouvoir se servir de tous les autres. En troisième lieu, il est dans la constitution d’un être raisonnable de ne pas se montrer prompt à juger ni facile à duper. Que ton principe directeur, en s’en tenant à ces prérogatives, suive droit son chemin, et il possède ce qui lui appartient. 122  - Dans la marge: 1, 2 et 3 soulignements 

Creuse au dedans de toi. Au dedans de toi est la source du bien, et une source qui peut toujours jaillir, si tu creuses toujours. 123

Il faut que le corps soit aussi lui-même affermi et ne soit pas relâché, ni dans l’action ni dans le repos. 123

La nature ne t’a pas tellement mêlé ou composé des choses, qu’il ne te soit point permis de te délimiter et de faire que ce qui t’appartient soit en ton pouvoir. Il est parfaitement possible, en effet, d’être un homme divin et de n’être remarqué par personne. Souviens-t’en toujours, et encore de ceci : que le bonheur de vivre dépend de très petites choses, et que, si tu désespères de pouvoir être un dialecticien et un physicien, il ne faut pas pour cela renoncer à être libre, modeste, sociable et docile à la voix de Dieu. 125  - Dans la marge: 2 traits verticaux

La perfection morale consiste en ceci : à passer chaque jour comme si c’était le dernier, à éviter l’agitation, la torpeur, la dissimulation. 125
Le repentir est un blâme à soi-même pour avoir négligé quelque chose d’utile. Or, le bien doit être quelque chose d’utile, et l’honnête homme doit en avoir souci. Mais d’autre part, aucun honnête homme ne se blâmerait pour avoir négligé un plaisir. Le plaisir n’est donc, ni chose utile, ni bien. 131

Qui que ce soit que tu rencontres, commence aussitôt par te dire : « Cet homme, quels principes a-t-il sur les biens et sur les maux ? » S’il a, en effet, sur le plaisir et la douleur, sur les causes qui l’une et l’autre les produisent, sur la gloire, l’obscurité, la mort, la vie, tels ou tels principes, je ne trouverai ni étonnant, ni étrange, s’il accomplit telles ou telles actions, et je me souviendrai qu’il est contraint d’agir ainsi. 132

Souviens-toi que changer d’avis et obéir à qui te redresse, c’est faire encore acte de liberté. Ton activité, en effet, s’étend selon ta volonté, selon ton jugement et, par conséquent, selon aussi ta propre intelligence. 132  - Dans la marge: *

Bonheur de l’homme : faire ce qui est le propre de l’homme. Et ce qui est le propre de l’homme, c’est d’être bienveillant envers ses pareils, de mépriser les mouvements des sens, de discerner les idées qui méritent créance, de contempler la nature universelle et tout ce qui arrive conformément à sa loi. 134  - Dans la marge: *

Si tu t’affliges pour une cause extérieure, ce n’est pas elle qui t’importune, c’est le jugement que tu portes sur elle. Or, ce jugement, il dépend de toi de l’effacer à l’instant. Mais, si tu t’affliges pour une cause émanant de ta disposition personnelle, qui t’empêche de rectifier ta pensée ? De même, si tu t’affliges parce que tu ne fais pas une action qui te paraît saine, pourquoi ne la fais-tu pas plutôt que de t’affliger ? - Mais quelque obstacle insurmontable m’empêche. - Ne t’afflige donc pas, puisque ce n’est point par ta faute que tu ne la fais point. - Mais il est indigne de `vivre, si je ne l’exécute pas. - Sors donc de la vie, l’âme bienveillante, à la façon de celui qui meurt en exécutant ce qu’il veut, mais sois en même temps indulgent aux obstacles. 139

Voilà pourquoi c’est une citadelle que l’intelligence libérée des passions. L’homme n’a pas de position plus solide où se réfugier et rester désormais imprenable. Qui ne l’a point découverte est un ignorant, et qui l’a découverte, sans s’y réfugier, est un malheureux. 139

Dans tes actions, ne sois point nonchalant ; clans tes conversations, ne sois pas brouillon ; dans tes pensées, ne t’égare pas ; en ton âme, en un mot, ne te contracte pas, ne t’en évade pas, et ne passe pas ta vie dans les tracas. 140

Celui qui ne sait pas ce qu’est le monde ne sait pas où il est. Celui qui ne sait pas pourquoi il est né ne sait pas ce qu’il est, ni ce qu’est le monde. Mais celui qui a négligé une seule de ces questions n’est pas même en état de dire pourquoi il est né. Que te semble-t-il donc de celui qui fuit le blâme ou recherche l’éloge de ces braillards qui ne savent pas où ils sont, ni ce qu’ils sont ? 141

Tu veux être loué par un homme qui, trois fois par heure, se maudit lui-même ? Tu veux plaire à un homme qui ne se plaît pas à lui-même ? Se plaît-il à lui-même, l’homme qui se repent de presque tout ce qu’il a fait ? 141

Le vice, d’une façon générale, ne nuit en rien au monde. Pris en particulier, il ne nuit à nul autre, et n’est nuisible qu’à celui-là seul auquel il a été donné de s’en débarrasser, aussitôt qu’il voudra. 141

Tous les êtres qui ont part à quelque chose de commun recherchent ce qui leur est semblable. 148

Ainsi donc tout être qui participe de la commune nature intelligente s’efforce de rejoindre ce qui lui est apparenté, et davantage encore.  148

La faute d’un autre, il faut la laisser où elle est. 150

La cause universelle agit comme un torrent ; elle entraîne tout. Quels êtres vulgaires que ces petits hommes qui jouent les politiques et s’imaginent agir en philosophes ! Ils sont pleins de morve. O homme, que fais-tu ? Fais ce que ta nature présentement exige. Décide-toi, si tu le peux, et ne regarde pas si on te verra. Ne t’attends pas à la république de Platon, mais sois satisfait du plus petit progrès, et ce résultat, ne le considère pas comme petite chose. Car qui pourrait changer les principes des hommes ? Et, sans changer leurs principes, que leur reste-t-il, sinon le joug qui pèse sur des esclaves qui gémissent et font semblant d’obéir ? Va maintenant et cite-moi Alexandre, Philippe, Démétrius de Phalère. Je les suivrai, s’ils ont su discerner ce que veut la commune nature et s’ils se sont éduqués eux-mêmes. Mais, s’ils ont joué la tragédie, personne ne me condamne à les imiter. Simple et modeste est l’œuvre de la philosophie. Ne m’entraîne pas à l’orgueil de la solennité. 152

Mais s’ils ont un pouvoir, pourquoi ne les pries-tu pas de te donner de ne rien avoir à craindre des choses de ce monde, de n’en désirer aucune et de ne jamais t’affliger pour aucune, au lieu de leur demander que telle chose t’advienne ou ne t’advienne pas ? 155  - Dans la marge: *

Cet homme demande : « Puissé-je dormir avec cette femme ! »Toi, dis plutôt : « Puissé-je ne pas désirer de dormir avec cette femme ! » Cet autre «Puissé-je être débarrassé de ce souci ! » Toi : « Puissé-je n’avoir pas besoin d’en être débarrassé ! » Un autre : « Puissé-je ne pas perdre mon enfant ! » Toi : « Puissé-je ne pas être affligé de le perdre ! » Bref, retourne ainsi tes prières, et vois ce qui arrive. 155  - Dans la marge: *

Lorsque tu es offensé par l’impudence d’un homme, demande-toi aussitôt : « Se peut-il donc qu’il n’y ait pas d’impudents dans le monde ? » Cela ne se peut pas. Ne réclame donc pas l’impossible, puisque cet homme est l’un de ces impudents qui nécessairement se trouvent dans le monde. Sois prêt à te poser la même question devant un scélérat, un fourbe ou tout autre coupable. En te rappelant, en effet, qu’il est impossible qu’il n’existe pas des gens de cette sorte, tu deviendras plus indulgent pour chacun d’eux. 156

C’est comme si l’œil exigeait une récompense pour voir, et les pieds pour marcher.  157  - Dans la marge: 2 traits verticaux

La nature, en effet, aurait-elle entrepris de gâter elle-même ses propres parties, de les rendre susceptibles de tomber dans le mal et de les y faire inévitablement tomber ; ou bien, est-ce à son insu qu’il en va de la sorte ? L’un et l’autre sont invraisemblables. 163

Lorsque tu te seras nommé homme de bien, réservé, véridique, prudent, résigné, magnanime, fais attention à ne pas avoir à te nommer autrement [...] 164

Toutefois, pour t’aider à te souvenir de ces noms, il te sera d’un grand secours de te souvenir des Dieux, et de te rappeler que ce qu’ils veulent, ce n’est pas d’être flattés, mais que tous les êtres raisonnables travaillent à leur ressembler. Ils veulent enfin que ce soit le figuier qui remplisse la fonction du figuier, le chien celle du chien, l’abeille celle de l’abeille et l’homme, celle de l’homme. 164

Il ne s’agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l’homme de bien, mais de l’être. 167

La terre aime la pluie, et il aime aussi, le vénérable Éther … Et le monde aussi aime faire ce qui doit advenir. Je dis donc au monde : « J’aime ce que tu aimes. » Ne dit-on pas de même d’une chose : qu’elle aime à survenir ? 167

Au début, les tragédies furent représentées pour rappeler les accidents de la vie, montrer qu’ils doivent ainsi naturellement arriver, et que les drames qui vous ont séduits sur la scène ne doivent point vous accabler sur une scène plus grande. Elles font voir, en effet, que c’est ainsi qu’il faut que s’accomplissent ces drames, et qu’en sont les victimes ceux mêmes qui crient : « Ah ! Cithéron (107) ! » 178 Note: 107. Œdipe, dans Œdipe-Roi, de Sophocle, v. 1391.

Après la tragédie parut la comédie ancienne. Son libre parler servit d’enseignement ; et, par sa franchise même, rappela, non sans succès, la modestie aux hommes. C’est dans la même intention que Diogène lui emprunta cette franchise.
Après elle, considère pourquoi fut accueillie la comédie moyenne, et enfin la comédie nouvelle, elle qui, en peu de temps, tomba dans l’ingénieuse imitation des mœurs ? Que ces poètes comiques aient dit aussi des choses utiles, on ne l’ignore pas. Mais tout l’effort de cette poésie et de cet art dramatique, à quel but visait-il ? 179

Avec quelle évidence tu arrives à penser qu’il ne saurait y avoir dans ta vie une situation aussi favorable à la philosophie, que celle dans laquelle présentement tu te trouves. 179

Aucune nature n’est inférieure à l’art, car les arts ne sont que des imitations des diverses natures.  180  - Dans la marge: *

Il y a comme une grossièreté et quelque dépravation à dire : « J’ai préféré me comporter franchement avec toi. - Homme, que fais-tu ? Il ne faut pas commencer par affirmer cela. La chose d’elle-même le déclarera. Elle doit être écrite sur ton front ; ta voix doit aussitôt l’exprimer ; tes yeux doivent aussitôt la montrer, à l’instar de l’aimé qui tonnait aussitôt, dans le regard de ses amants, tout ce qu’ils éprouvent. En un mot, il faut que l’homme droit et honnête ressemble à l’homme qui sent le bouc, en sorte que quiconque s’approche de lui sente dès l’abord, qu’il le veuille ou non, ce qu’il en est. La recherche de la simplicité est un coutelas. Rien n’est plus odieux qu’une amitié de loup (112). Évite ce vice avant tous. L’homme de bien, l’homme droit, bienveillant portent ces qualités dans leurs yeux, et elles n’échappent point. 181 Note: (112) Allusion à la fable d’Esope, où les loups persuadent les brebis de leur livrer les chiens qui les gardaient.
Septièmement, ce ne sont pas leurs actions qui nous troublent, car elles ont leurs principes dans l’esprit qui dirige ces hommes, mais les opinions que nous nous en formons. 183

Or, exprimer une idée qui ne provient pas de toi, songe que c’est une des choses les plus absurdes qui soient. 185

Celui dont la vie n’a pas un but unique et toujours le même, ne peut pas rester unique et le même durant toute sa vie. 186  - Dans la marge: 2 traits verticaux

Socrate appelait les opinions de la foule des Lamies, épouvantails pour les enfants (115). Note 115: Cf. ÉPICTÈTE, Dissert., II, 1 ; PLATON, Criton.

Dans l’art de l’écriture et de la lecture, tu ne peux enseigner avant d’avoir appris. Il en est de même, à plus forte raison, de l’art de la vie. 187

Ainsi, nous appréhendons davantage l’opinion de nos voisins sur nous-mêmes que la nôtre propre. 192  - Dans la marge: *
Combien est ridicule et étrange l’homme qui s’étonne de quoi que ce soit qui arrive en la vie! 194

[...] que tout n’est qu’opinion ; que chacun ne vit que le moment présent et ne perd que l’instant. 197

À ceux qui demandent : « Où as-tu vu les Dieux? Ou bien, par quel moyen conçois-tu qu’ils existent, puisque tu les honores ? -Tout d’abord ils sont visibles au regard. Et puis, je n’ai jamais vu mon âme, et pourtant je l’honore. Il en est ainsi pour les Dieux. Des marques de leur puissance qu’en toute occasion je constate, je conçois qu’ils existent, et je les respecte. 198  - Dans la marge: neg.

Photos: Pierre Rousseau - © 2019
Archives Pierre Rousseau
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