lundi 22 octobre 2018

Poésie - Baudelaire

Voici un travail pratique du cours Français 214, au Collège de Maisonneuve (Montréal), que j'ai présenté, lundi, le 23 décembre 1968, à Mlle C. Lepage.

Sujet: L'exotisme chez Baudelaire - Les Fleurs du mal - «La chevelure»

Note: 70 % (80 % - 10 % orthographe)

Commentaire du professeur:

Très bon travail, sérieux, qui me laisse toutefois sceptique quant à son «originalité» !!! Attention aux répétitions.

Encore une fois revient le commentaire: «qui me laisse toutefois sceptique quant à son originalité», un jugement que je qualifierais de «téméraire», car non fondé sur des preuves suffisantes. Pendant toutes mes études, je serai ainsi faussement accusé d'emprunt, voire de plagiat.










Texte intégral

Dans sa vingtième année, Baudelaire accomplit un voyage jusqu'à la Réunion, avec un séjour à l'île Maurice. Ce périple autour de l'Afrique a sans nul doute inspiré l'auteur des Fleurs du mal. Observant et admirant le mode de vie dans des pays étrangers entièrement différents de la France, Baudelaire a recueilli des sensations extraordinaires qu'il a su intégrer dans son oeuvre, L'exotisme se ressent dans plusieurs poèmes des Fleurs du mal, et les attraits exotiques qui ont capté l'admiration de l'auteur y sont aisément décelables.

Comme le fait remarquer Henri Lemaitre, nous retrouvons dans les Fleurs du mal un "symbolisme du parfum". En fait, que symbolise "le parfum" pour Baudelaire?

L'auteur identifie l'exotisme au parfum. Un parfum caractérise un pays comme le sentiment poétique caractérise le poète. Comme un parfum imprègne les objets environnants, l'exotisme s'imprègne profondément dans le voyageur. Baudelaire a goûté aux chaudes caresses de cet arôme enivrant qu'est l'exotisme. Et maintenant, c'est avec une intense sensation suave qu'il rêve à "tout un monde lointain, absent, presque défunt", et ce monde, Baudelaire le retrouve dans une chevelure.

Il faut maintenant se demander ce que symbolise cette chevelure dans laquelle l'auteur plonge avec ivresse, langoureusement. Cette chevelure, c'est tout simplement l'appel des souvenirs. Dans ces "cheveux bleus", Baudelaire revit son voyage, ses sensations. Il découvre et redécouvre l'exotisme qu'il a laissé là-bas; les exhalaisons de cette chevelure lui ouvrent les portes de paradis perdus.

Cette "toison" renferme un univers merveilleux, artificiel, où l'auteur plonge langoureusement son rêve, un univers de beauté, de richesses, de chaleur.

LE PARFUM
Comme mentionné plus haut, Baudelaire identifie le parfum à l'exotisme. Dans son poème "La chevelure", il fait fréquemment allusion à un parfum de telle sorte que l’arôme devient inséparable de la chevelure, comme les pays lointains et inconnus sont inséparables d'un exotisme caractéristique,

v.2 Ô boucles! Ô parfum chargé de nonchaloir!"
v. 8 "Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique!"
v.10 "Le mien, Ô mon amour, nage dans ton parfum."
v.17 "À grands flots le parfum..."
v.25 "Infinis bercement du loisir embaumé !"
v.29 "Je m'enivre ardemment des senteurs confondues"

Donc, le parfum est, pour Baudelaire, le premier trait caractéristique de l'exotisme.

L'OCÉAN

v.9 "Comme d'autres esprits voguent sur la musique, (...)"
v.10 "Le mien, Ô mon amour! nage sur ton parfum"
v.13 "Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!"
v.14 "Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve"
v.15 "De voiles, de rameurs, de flammes et de mât: (...)"
v.16  "Un port retentissant où mon âme peut boire"
v.17 "À grands flots le parfum, le son et la couleur;"
v.18 "Où les vaisseaux..."
v.21 "Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse"
v.22 "Dans ce noir océan,,."
v.23 "Et mon esprit subtil que le roulis caresse"
v.25 "Infinis bercements..."
v.34 "N'es-tu pas l'oasis..."

L'eau. Dans ce poème, Baudelaire utilise un ample vocabulaire marin: l'eau semble devenue - après le parfum - le thème second de l'exotisme. Dans son long périple autour de l'Afrique, l'auteur a été constamment en contact direct avec l'océan. Et sûrement que les "infinis bercements" ont influencé Baudelaire.

Pendant son voyage, il a dû être familiarisé avec ces expressions: voguer, nager, houle, mer, voiles, rameurs, port, flots, vaisseaux, plonger, océan, roulis, bercements, oasis, etc.

Et quel magnifique rapprochement pouvons-nous faire entre la mer et une chevelure ondulante. Baudelaire a admirablement fait cette identification lorsqu'il écrit: "Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève!", et c'est un départ vers un pays exotique. Et cet autre vers; "Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve". Oui, l'auteur a dû longuement promener son regard sur le vaste océan désert, et son esprit a vagabondé, rêveusement, sur cet horizon sans fin.

Il semble que le ciel ait peu influencé Baudelaire. Il en est fait mention deux fois seulement:

v.20 "D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur."
v.27 "Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond"

LES SENS
Tous les sens de l'auteur ont suavement goûté aux délices des pays exotiques. Et dans ce poème, il y a transmission de ces sensations ressenties.

Les sons
v.9 "...sur la musique,"
v,16 "Un port retentissant..."
v.17 "À grands flots le parfum, le son et la couleur."

Dans les vers 16 et 17, trois sens sont mentionnés: ouïe, odorat, vue. Les grands ports avec leur animation bruyante et colorée ont vraisemblablement attiré l'attention éveillée de Baudelaire. Les nombreuses escales qu'il a faites lui ont permis de prendre de vivants contacts dans les populations autochtones.

Les couleurs
v.3 "... l'alcôve obscure"
v.14 "Tu contiens, mer d'ébène,..."
v.17 "À grands flots, le parfum, le son et la couleur"
v.22 "Dans ce noir océan..."
v.26 "Cheveux bleus..."
v.26 "...ténèbres tendues"

Un fait impressionne: pourquoi l'auteur insiste-t-il sur les couleurs sombres, alors que les couleurs exotiques sont habituellement "voyantes"? Il ne faut pas oublier cette chevelure où l'auteur puise tous ses souvenirs, et cette chevelure est intensément noire: "Cheveux bleus..."

Les senteurs.
Généralement, le parfum frappe l'odorat de l'auteur. Mais à ces parfums se mêlent parfois les sueurs des hommes nus travaillant sous un soleil torride. Et Baudelaire n'a pas été insensible à ces êtres humains vivants dans la nature et luttant à force humaine contre elle :
"J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
"Se pâment longuement sous l'ardeur des climats;"

Et aussi des senteurs confondues:
"Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
"De l'huile de coco, du musc et du goudron."

Le toucher.
Dans ce poème, peu de mentions du toucher, sauf en ce qui regarde la chaleur:

"...la brûlante Afrique,"
"Se pâment longuement sous l'ardeur des climats."
"D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur."

LA RICHESSE
La richesse des psys exotiques n'a pas été sans influencer Baudelaire, et il le montre dans ces vers:

v.18 "Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,"
v.32 "Sèmera le rubis, la perle et le saphir."

Mais Baudelaire, vraisemblablement, ne s'attachait pas à la valeur matérielle de ces richesses. Il voyait peut-être dans ces trésors miroitants la cupidité des hommes à travers les siècles, et toutes les guerres occasionnées par ce vice des hommes. Ou encore, l'auteur ne retenait-il que l'aspect esthétique de ces richesses?

LES MOTS EXOTIQUES
L'auteur utilise un intéressant vocabulaire de mots exotiques tel que: Asie, Afrique, ébène, or, moire, huile de coco, musc, goudron, rubis, perle, saphir, oasis.

Baudelaire a désiré intégrer dans son poème un monde exotique, son univers de rêves dans lequel il se berce et s'engouffre.

Que représente l'exotisme pour Baudelaire? Premièrement, les pays lointains sont inséparables de l'océan. Pour atteindre leurs côtes bruyantes, le voyageur doit longuement naviguer sur la mer immense et son esprit a le temps de sauter les distances et de plonger instantanément dans l'exotisme d'un pays inconnu. Le voyageur imagine un univers miroitant de pierres précieuses, de marbre et d'ébène; il admire la démarche gracieuse des femmes et leur beauté légendaire; il hume le parfum et l'encens, la sueur des hommes. Tout ce monde défile dans son esprit: c'est un univers irréel. Mais qu'arrive-t-il lorsqu'il aborde les cités nouvelles? Il est le plus souvent déçu: tout avait été qu'illusion imaginative. Il tombe dans une brutale réalité; mais à son retour, ce voyageur gardera dans ses souvenirs, la féerique irréalité qu'il aura tendrement caressée.

Et Baudelaire a lui aussi préservé dans ses rêves la beauté enchanteresse de l'exotisme. Il ne rend pas la réalité dans son poème. Il brode et maquille un univers qui l'a peut-être déçu, tout au moins en partie. Il décrit ce qu'il aime: ses désirs deviennent des descriptions imagées.

L'ouïe, l'odorat, la vue et le toucher jouent un grand rôle dans l'exotisme imaginé par Baudelaire. Le parfum semble tout particulièrement avoir impressionné l'auteur, qui a même identifié le parfum à l'exotisme. Le parfum, c'est l'exotisme avec tout ce que cela renferme, et le parfum se rattache directement à la femme, à la femme exotique. Baudelaire a admiré les femmes -plusieurs de ses poèmes leurs sont dédiés - ces femmes mystérieuses qu'il a idéalisées.

Baudelaire a vu des ports bruyants et colorés; il a entendu de la musique; il a senti sur sa peau la chaleur intense du soleil; il a humé le parfum et la sueur des hommes laborieux: tout cela compose l'exotisme chez Baudelaire.

L'auteur a également connu la richesse de ces pays, le luxe et la paresse des grands riches. Il faut dire aussi que Baudelaire a dépassé ou s'est élevé au-dessus de la petite population autochtone pour choisir la grande vie. Pour Baudelaire, la richesse des pays exotiques veut dire: luxe, "féconde paresse", rubis, perle, saphir, ébène.

Photos : Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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1 commentaire:

  1. J'ai étudié la même oeuvre au collégial... Les générations passent et se ressemblent.

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