dimanche 16 décembre 2018

Les beaux naufrages - La mort

Extrait de Les beaux naufrages (Version1, 2003):

J’oublie ce rêve aussitôt, comme un coup de vent chasse un nuage de brûlots. Le soleil levant éclaire le pied de mon lit. C’est rose comme le mamelon d’une fille pâle. Je m’étire. Ma colonne vertébrale craque comme un vieux plancher de bois franc. Je déteste ce pétillement des os. Dans l’autre lit, V. fait semblant de dormir. Il fait craquer les jointures de ses dix doigts, une par une. Il est souvent méchant, comme un enfant qui s’ennuie. Pas besoin de me rappeler outre mesure que je porte en moi la mort, des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre à langueur de jour. C’est la mort qui me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin. « Il n’y a pas de petite vie, juste un voyage un peu plus inconfortable » dit V. quand je lui parle de ma crainte de la mort.

Dans la Version 5 (2004), j'écrivais:

J’ouvre lentement les yeux, comme on s’éveille d’une sieste d’après-midi. Le soleil levant éclaire les renflements de mes pieds sous les couvertures. C’est rose comme les mamelons d’une fille pâle. Je m’étire. Ma colonne vertébrale craque de tout son long, un pétillement d’os, comme un écrasement d’insecte. Dans l’autre lit, Raoul fait craquer les jointures de ses dix doigts, une par une. « Tu fais exprès, hein ? » je lui dis. Il ne répond pas. Il est quelques fois méchant, comme un enfant qui s’ennuie. Il n’a pas besoin de me rappeler que je porte en moi des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre, que la mort me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin, et qui me frappera le moment venu, comme on frappe un os. Les os ont une grande importance dans ma vie et il le sait. Pas pour les collectionner, mais pour ne jamais en voir. Que ce soit un os humain ou un os d’animal. Ça me met très mal à l’aise.

Je préfère la Version 5, entre autres cette phrase:

V1: «Ma colonne vertébrale craque comme un vieux plancher de bois franc. Je déteste ce pétillement des os.»

V5: «Ma colonne vertébrale craque de tout son long, un pétillement d’os, comme un écrasement d’insecte.»

Et j'aime bien cette longue phrase qui finit comme un coup de couteau:

«Il n’a pas besoin de me rappeler que je porte en moi des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre, que la mort me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin, et qui me frappera le moment venu, comme on frappe un os.»

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