samedi 22 décembre 2018

Poésie - Monde pourri

Monde pourri (Pierre Rousseau, 2003)

S’essuyer au banal mystère des autres
Se stériliser le jugement
Se grandir le bénévolat
Se châtier les devoirs moraux
S’oindre de bonnes grâces
Se détremper la couleur locale
S’huiler la charité bien ordonnée
Se vidanger l’aigreur
Se polir de bonnes vertus
Se lubrifier la fausse modestie
Se désinfecter les droits humains
S’éteindre les fols espoirs
S’astiquer les oreillettes du cœur
Se lisser le nombril sec
Se parfaire la bonne conscience
Se ponctionner l’amertume fielleuse
Se poncer la servilité
Se raboter l’amateurisme
Se drainer le col académique
Se désinfecter l’amour-propre
S’irriguer le court colon
Se curer l’introspection
Se saigner le blanc des yeux
Se chauler les parasites cérébraux
Se tamponner la pollution nocturne
Se formoler le succès
Se biner la fleur de l’âge
Se frotter le mauvais pli
Se retoucher l’autoportrait
Se remodeler les membres honoraires
S’imbiber de naïveté fine
Se pasticher l’originalité
Se soigner le ready-made
Se lécher la plaie corporative
Se ramollir la croûte
Se recoudre l’ouverture sur le monde
Se vernir le discernement
Se lustrer le sourire doucereux
S’éponger les muqueuses anales,

Et, ultimement, au fin fond du bol,
Faire appel au service d’assainissement
Avant de se laisser choir, gracieuse masse,
Sur le banc des offices culturels,
Puis, lestement, tirer la chasse,
Afin de rejoindre ceux qui se ressemblent
Sans crainte, ni fielleuse redondance,
Car la vie sait, de sa main maîtresse,
Envers et contre tous,
Artistiquement et proprement, 
Se torcher toute seule.
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