mardi 22 décembre 2020

Petits textes à revoir - Masse ouvrière

Extrait de Petits textes à revoir, (Pierre Rousseau, 2000).

Masse ouvrière

Je connais un lupanar, du moins ce que les bonnes âmes appelleraient comme tel. On y entre par la cours arrière. J’y viens souvent, c'est-à-dire une fois par semaine, et parfois deux, quand le goût me prend d’être expansif. Donc je connais très bien ce lieu, mais pas Y. qui me colle au cul. Quand inévitablement il me marche sur le talon, je me fâche. « Calme-toi,», je lui dis en me dressant devant lui, pour l’impressionner. C’est facile de m’imposer, il est un pied plus bas de quoi, mais bâti comme un ours faut le dire. La dernière fois où je suis venu en ce lieu, j’avais parlé aux femmes de mon ami, en beaux termes. Elles m’avaient alors supplié de le leur amener. Ces femmes, ce sont pour la plupart des veuves. Quatre pour être bien précis. L’autre, ma préférée, J., est-ce qu’on appelait jadis « une vieille fille », qui vient chercher ici, une fois par semaine, une satisfaction qu’elle décrit finement comme « hygiénique ». Car elle est très grosse et ne peut se toucher. Depuis un an, je suis le seul qui lui donne du plaisir, enfin, ce plaisir particulier. Elle n’est pas la plus fougueuse ni la plus chaude, mais elle se laisse faire, peut-être parce que mes fantasmes ne sont pas compliqués. Elle m’aime bien aussi, je crois, parce que nous bavardons de divers sujets. Nous sommes, à certains égards, sur les mêmes longueurs d’onde.

Donc, ce jour-là, j’amène Y. J’avais deviné – ou entendu dire, mais c’est la même chose –  qu’une couple de veuves voulaient de la chair fraîche, quoiqu’à 45 ans, ce n’est pas tout à fait cela. Bref, Y. est là à me coller au cul, je l’ai déjà dit. Parce que c’est la première qu’il va aux femmes. Marié comme il l’est depuis 20 ans, et fidèle, je comprends mieux son inquiétude, mais laquelle. Nous entrons. Immédiatement, Y. choisit la première du bord, la pire. Mais pas question de la pénétrer, ce serait le poignet ardent. Comme J. est aussi voyeuse que moi, nous assistons à l’initiation à travers l’œil. La veuve saturée au spermicide, la main enserrante et le poignet ivre, dans une indécente emprise sur la chair dure, convie la molle masse de mon ami en un va-et-vient soutenu. Voilà une belle mécanique chaleureuse, cinétique, qui mêle la chaleur des fluides insinuants, afin de mettre en branle l’événement souhaité. À voir la tête de Y., c’est la première qu’il se fait faire la chose. La veuve donc pompe les globules blancs, provoque des réactions chimiques aptes à stigmatiser la petite mort, accumule patiemment l’énergie dans le corps attentif. Enfin, dans un processus irréversible, le miracle se produit, l’organe soud le sperme, le blanc gicle jusque dans le visage de (la veuve), quelques jets folâtres issus d’un bonheur vif barbouillent son visage.

Mais l’infâme inertie revient bientôt dans le noyé chenu. La honte aussi, ça se voit comme (???) Mon ami aura connu la femme de passage un temps plus court qu’un éclat d’atome. Il n’y reviendra pas de sitôt, j’en ai bien peur. 
Question de culpabilité. Il perdra ce soir même le visage, le moment, le souvenir. Ce sera un autre petit remords à repiquer dans sa vie inassouvie, en ce jour frileux où il prend sans donner. Il naquit nu et mourra de même, j’en ai bien peur. Sa vie est exsangue, je le lui répète sans cesse. Il insiste même avant de sortir pour payer la pauvre veuve qui ne dit pas non, et riante s’en va, embellie de luxe, une bosse entre les seins.

Quant à J., elle a déjà commencé à vêtir son costume de bergère, avec un décolleté aussi profond que les gorges de  ?. Et je ris, car avec sa corpulence, elle a l’air d’un personnage de bal costumé, mais combien indécente.
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