Travail pratique sur «L'étranger» d'Albert Camus; thème: le soleil. Français 301, Groupe 108. Remis le 5 décembre 1969.
Commentaire du professeur: «A-t-il était faite seul? Sans inspiration d'aucune étude précédente?» J'ai souvent eu ce genre de commentaires négatifs durant toutes les études: par ex. «C'est ton grand frère qui l'a fait.» ou «Tu as copié dans un livre.»
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VOCABULAIRE - Relevé de certains mots ayant comme point commun la clarté, l'éblouissement (ce qui frappe le regard).
Une séparation est faite entre la première et la deuxième partie de l'œuvre, permettant ainsi une comparaison qui peut être intéressante. Les chiffres apparaissant ci-dessous sont un minimum; ils se rapprochent de la vérité, mais ils peuvent être plus élevés.
MOTS CHOISIS 1e PARTIE 2e PARTIE TOTAL
soleil 35 6 41
blanc 14 1 15
lumière 10 3 13
éclat 9 1 10
brillant 3 2 5
aveuglant 2 0 2
clair 2 1 3
réverbération 1 0 1
vive (couleur) 1 0 1
éclaboussement (lum.) 1 0 1
lueur 1 1 2
reflet 1 0 1
argent 1 1 2
étincelant 1 1 2
Je remarque aussi que la notion de chaleur (le plus souvent associée au soleil), revient fréquemment dans le roman. Au total: 28 fois; 18 fois dans la première partie et 10 fois dans la seconde.
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Un simple coup d'œil sur le tableau de la page précédente nous dévoile que la première partie est de beaucoup plus «ensoleillée» que la seconde. Le héros passe brutalement, sans transition, d'un univers de liberté, de soleil, de lumière éblouissante, à un monde peuplé d'ombres inquiétantes où la liberté est absente.
Le fait est très significatif: le mot «soleil» revient au moins 41 fois dans tout le roman. Son sens, sûrement symbolique, mérite une étude toute particulière que je vais tenter d'élaborer dans les pages suivantes. Le soleil existant surtout par son aspect visuel, j'ai relevé également les termes ou mots qui rappellent l'éblouissement solaire, tel que lumière, «éclat», «brillant», «lueur», etc. qui sont autant de «soleils miniatures».
Le travail aurait été incomplet si je n'avais examiné ou tenu compte de l'aspect tactile du soleil, c'est à dire, la chaleur. En effet, la notion de chaleur causée par le soleil revient un minimum de 28 fois dans tout le roman.
Je traiterai de différentes notions, telles que négativité, contrastes ombre-lumière, «grandeur».
De tous ces renseignements et constatations, j'essayerai de découvrir le symbolisme du «soleil».
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Constatations relatives au tableau de la page précédente:
Dans 4 pages, sur un total de 179, on retrouve 27 pour cent du vocabulaire relevé pour le tableau 1. Pouvons-nous déduire que c'est ce trop-plein de soleil qui a causé la perte de Meursault? Il semble que oui. Auparavant, le soleil était normal dans sa vie, puis à un moment donné,il est devenu trop éblouissant, tellement que l'individu a été aveuglé.
Et après cette explosion de clarté de la fin, l'obscurité est venue, comme si la lumière s'était totalement vidée et qu'il n'en restait presque plus rien.
Le soleil a-t-il perdu toute l'importance que le héros lui témoignait? Dans sa prison, il n'est fait mention du soleil qu'une seule fois:
«Mais ce visage avait la couleur du soleil (...)» p 174, et encore, il parle de Marie, c'est-à-dire un monde qu'il ne pourra plus retrouver, un univers qu'il a perdu.
Mais qu'a-t-il perdu effectivement?
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1-Soleil: notion de «grandeur».
L'univers de Meursault dans la première partie apparait le plus souvent baigné d'un soleil énorme. Les exemples sont nombreux où, dans les descriptions, le soleil est prédominant tant par l'éblouissement de sa lumière que par les ombres contrastantes qu'il dessine:
«Le ciel était déjà plein de soleil (...)» p 24
«(...) la même campagne lumineuse gorgée de soleil.» p 27
«(...) dans le port brulant de soleil.» p 40
«(...) le jour, à tout plein de soleil.» p 73
«(...) le soleil tombait presque d'aplomb.» p 80
“(...) la tête retentissante de soleil( ...)» p 86
«Mais toute une plage vibrante de soleil.» p 89
Pour que nous imaginions une ombre quelconque, il faut que l'auteur la décrive très distinctement, parce que le soleil emplit tellement l'univers, entoure si intensément les objets, qu'une ombre y serait mal venue.
2-Soleil: notion de «chaleur».
Le soleil est source de chaleur, et l'auteur nous le fait sentir au moins 28 fois dans le roman. À deux endroits, le soleil et la chaleur sont dominants pendant l'enterrement, et pendant le meurtre. Les deux fois, le soleil est présent au rendez-vous avec la mort, et la chaleur écrasante. Car presque toujours la chaleur est lourde:
«On respirant à peine de la chaleur de pierre qui montait du sol.» p 80
«Il faisait très chaud dans le bureau (...)» p 41
«J'avais très chaud sous mes vêtements sombres.» p 25
«Il faisait très chaud.» p 8
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«Mais la chaleur était telle qu'il m'était impossible de rester immobile (...)» p 86
«Il faisait très chaud.» p 97
«(...) et l'air était déjà étouffant.» p 122
Dans la salle de procès, il faisait toujours trop chaud:
“La chaleur montait et je voyais dans la salle les assistants s'éventer avec des journaux.» p 128
3-Soleil: contrastes
Même si les descriptions sont souvent éblouissantes de clarté, l'autour impose cependant des termes contrastants, surtout le mot «noir» et le mot «ombre».
Durant l'enterrement, le mot «noir» revient quelques fois:
“(...) une cravate noire et un brassard.» p 8
«(...) habille de noir avec un pantalon rayé.» p 21
et aussi pendant le procès, à la cour:
«(...) trois juges, deux en noir (...)» p 126
Dans la première partie, tout se passe dans le soleil, et dans la seconde, nous retrouvons une cellule sombre, le fourgon cellulaire, la salle de la cour dont les fenêtres sont obstruées. Cette constatation doit avoir une signification précise que j'essayerai d'expliquer dans la conclusion.
Pour le moment, je me contenterai de dire que, même dans le soleil le plus éclatant, il existe toujours des ombres.
4- Soleil: notion négative.
On peut déclarer, du fait que le soleil est présent à l'enterrement, et qu'il est indirectement responsable du meurtre de l'Arabe, qu'il représente un aspect négatif. Cependant, pour Meursault, il semble être toujours une source de joie, de gaieté, et qu'il a un aspect positif:
«(...) j'étais occupé à éprouver que le soleil me faisait du bien.» p 77
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Pourtant, pour Meursault, le soleil peut prendre un aspect très négatif, mais peut-être est-ce à cause de la circonstance (l'enterrement de sa mère?) : «Aujourd'hui, le soleil débordant qui faisait tressaillir le paysage le rendait inhumain et déprimant.» p 25
Mais en général, pour le héros, le soleil est toujours source de bienfaits puisqu'il le recherche constamment:
«C'est un jour que j'étais agrippé aux barreaux, mon visage tendu vers la lumière.» p 107
Il aime la plage baignée de soleil, mais si son humeur change , il préfère l'ombre:
«(...) envie enfin de retrouver l'ombre et son repos.» p 87
ou bien il la subit:
«Les deux gendarmes m'ont fait entrer sans une petite pièce qui sentait l'ombre.» p 122
Un autre aspect que l'on peut considérer comme négatif, c'est le fait que le soleil l'endort:
«(...) et les deux chaleurs de son corps et du soleil m'ont un peu endormi.» p 78
«(...) j'étais à moitié endormi par ce soleil sur ma tête nue.» p 81
5- Relevé du vocabulaire «solaire» dans les pages décrivant le meurtre (Pages 87, 88, 89, 90)
soleil 11
éclat 2
chaleur 4
lumière 4
jailli 1
blanc 1
aveuglant 2
étincelant 1
TOTAL 26
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Dans son univers, celui qu'il possédait avant de perdre sa liberté et vivre dans une cellule sombre, le soleil dominait. Aucun problème n'assaillait Meursault; il vivait sa vie; tout lui semblait sans importance ou plutôt tout lui semblait d'égale importance.
Pour lui, le soleil était la vérité toute resplendissante. Donc, il voit la vérité partout dans le monde. Tout est réel, tout est vrai. Il constate que tout est simple: il n'a pas besoin de se poser de questions,
Dans la première partie, il vit simplement sa vie, il n'est pas inquiet, et tout est plein de soleil. Dans la seconde partie, tout est sombre, il cherche la lumière ( page 107); il doute maintenant, il se pose des questions, mais ne veut pas se l'avouer.
«J'en ferai la preuve, messieurs, et je la ferai doublement.»
Sous l'aveuglante clarté des faits d'abord et ensuite dans l'éclairage sombre que me fournira la psychologie de cette âme criminelle.» p 145
L'existence de Meursault (première partie) est claire, resplendissante de vérité. C'est sa vie extérieure. Mais sa vie intérieure - sa psychologie - est plus sombre, parce qu'il ne l'a jamais explorée. Il n'y a jamais fait entrer le soleil. Et pendant ce procès, on tente de mettre son âme à nu. Il ne veut pas parce qu'il est heureux ainsi, c'est-à-dire, de la manière dont il vivait avant son emprisonnement.
Il croyait à la réalité, à la vérité du monde:
«Il avait l'air si certain, n'est-ce pas? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sur que lui, sûr de ma vie, et de cette mort qui allait venir. Oui, je n'avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu'elle me tenait.» p 176
Sa simplicité excessive venait qu'il mettait les objets tous sur le même niveau :
«Le chien de Salamano valait autant que sa femme.» p 177
et les phrases suivantes.
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Pourquoi chercher l'ombre dans son intérieur? Le monde extérieur plein de soleil est tellement plus beau, plus accueillant. Ainsi pourrait penser Meursault. Il pensait ainsi la plupart du temps, mais comme signalé plus haut, le soleil si éclatant soit-il, laisse toujours des ombres qui nous rappellent nos problèmes d'être humain, nos sombres abimes intérieurs.
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