jeudi 31 janvier 2019

Littérature française - L'immoraliste

L'immoraliste, d'André Gide, lu en (1968), avec quelques soulignements et notes dans la marge:


André Gide, L'immoraliste,
Livre de poche 372, 1968

Page 31, dans la marge du haut: Frôle la mort : apprécie la vie

Je ne fais rien. Je la regarde. Ô Marceline ! Marceline !… Je regarde. Je vois le soleil ; je vois l’ombre ; je vois la ligne de l’ombre se déplacer ; j’ai si peu à penser, que je l’observe. Je suis encore très faible ; je respire très mal ; tout me fatigue, même lire ; d’ailleurs que lire ? Être m’occupe assez. 32

Bachir (...) C’était là ce dont je m’éprenais en lui : la santé. 34

D’où venait donc ma peur, mon horreur, à présent ? C’est que je commençais, hélas ! d’aimer la vie. 35

Je repassais ma volonté comme une leçon qu’on repasse ; j’apprenais mon hostilité, la dirigeais sur toutes choses ; je devais lutter contre tout : mon salut dépendait de moi seul. 38

Était-ce enfin ce matin-là que j’allais naître ? 47

En tant que spécialiste, je m’apparus stupide. En tant qu’homme, me connaissais-je ? je naissais seulement à peine et ne pouvais déjà savoir quel je naissais. Voilà ce qu’il fallait apprendre. 61

(...) ou supprimer tout ce que je croyais ne devoir qu’à mon instruction passée et à ma première morale. 63

En vain chercherais-je à présent à imposer à mon récit plus d’ordre qu’il n’y en eut dans ma vie. Assez longtemps j’ai cherché de vous dire comment je devins qui je suis. Ah ! désembarrasser mon esprit de cette insupportable logique !… Je ne sens rien que de noble en moi. 74

Que Ménalque est heureux, pensai-je, qui n’a rien ! Moi, c’est parce que je veux conserver que je souffre. Que m’importe au fond tout cela ? 113

Je ne sais faire en moi les distinctions et les réserves qu’ils prétendent établir, et n’existe qu’en totalité.  115

Ce que l’on sent en soi de différent, c’est précisément ce que l’on possède de rare, ce qui fait à chacun sa valeur ; et c’est là ce que l’on tâche de supprimer. On imite. Et l’on prétend aimer la vie. 115

Envier le bonheur d’autrui, c’est folie ; on ne saurait pas s’en servir. 120

Aujourd’hui la beauté n’agit plus ; l’action ne s’inquiète plus d’être belle ; et la sagesse opère à part. 121

Regrets, remords, repentirs, ce sont joies de naguère, vues de dos. 122

La maladie était entrée en Marceline, l’habitait désormais, la marquait, la tachait. C’était une chose abîmée. 127


Photos: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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mercredi 30 janvier 2019

Précis de décomposition - Lettre à Elsa-Marie

Extrait de Précis de décomposition, (Pierre Rousseau, 2000), «Lettre à Elsa-Marie»

Le schizophrène voulait se faire un ami... pour partir en Louisiane. J’ai tracé sur une feuille le chemin à suivre, mais il l’a perdue en cours de route. Deux fois perdu, et il n’a trouvé que «ces non-lieux où on ne conquiert son anonymat qu’en fournissant la preuve de son identité», tel que le dit celui-là. L’anonymat — et ceci est bien — lui a fait oublier un moment son nom, son sexe, son visage, son lieu, son ambition peut-être, toutes ces choses amplement utilisées dans ta société, Elsa-Marie. L’aventure humaine est en elle-même un acte de foi, et elle est sans limites. Mais elle n’est pas sans risque. Tout voyage mène à un cul-de-sac, surtout celui du retour au point de départ, dans la douceur du foyer de la civilisation familiale — quand papa avait raison — ou dans la douceur de Mewar. Même une pente douce s’enfonce quelque part, pour le tourisme doux entre autres, celui qui ne paît pas en argent sonnant et trébuchant — douros, thalers, sesterces ou liards à deux faces —, mais par carte à puces, pour mourir d’ennui, à crédit. (Silence) Même si je le pouvais, je n’irais pas dans les talk-shows, car ils sont bien trop loin de la réalité. D’ailleurs — et d’ici — je ne veux pas faire école ou convaincre. Je dis : pourquoi vivre dans les étoiles et les chiffres alors qu’il y a tant d’enfants à aimer. Pas pour moi, le flagornement.
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mardi 29 janvier 2019

Informatique - Joueurs du Canadien de Montréal

Alors que j'étudiais en informatique au cégep de Maisonneuve (mars 1969), j'ai utilisé l'ordinateur du collège pour écrire un petit programme calculant la moyenne des joueurs du Canadien de Montréal.

Et, pour faire plus poétique, j'utilisais les termes suivants: <rouge> pour le nom de la procédure et <nuit> et <noire> pour les variables.



Cherchez l’intrus dans la liste des joueurs...

Photos: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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lundi 28 janvier 2019

Musique - Julie Masse

Entendre Julie Masse chanter Je ne veux pas passer ma vie à cacher ma peine me fait encore frissonner, mais d’une autre façon. Mots et voix confondus. Demain, ce sera Joe Dassin avec un On s’est aimé comme on se quitte quelque part en Gaspésie. (Pierre Rousseau, 2001)
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samedi 26 janvier 2019

Simulacres - Chapitre 1 - Le suicide

Voici le premier chapitre de Simulacres (Pierre Rousseau, 1995; ancien titre Dague)

01 Le suicide 
Ce matin-là, Sidonie ne se lava pas. Elle se contenta de se regarder toute nue dans le miroir, grimpant même sur la boîte à linge pour bien voir toutes les parties de ce corps qu'elle n'allait plus jamais revoir. Puis elle examina son visage, comme elle examinait le beau visage de la Sainte-Vierge que la maîtresse, après l'avoir mouillé de sa langue gluante, collait dans le cahier des devoirs. 
Dehors, il faisait encore noir, mais ce n'était plus tout à fait cette obscurité qui fait peur, mais plus tôt une absence de clarté. D'ailleurs, aucune tristesse, aucune morosité n'émanaient de la rue Notre-Dame-du-Merci, seulement une tranquillité silencieuse suspendue dans matin le frileux, comme un arrêt des mouvements et des bruits prolongeant l'engourdissement du sommeil. 
Les rameaux nus et maigres des érables matures frissonnaient sous un frimas blanc et fragile. Les pierres grises des façades des maisons en rangées de ce quartier populaire ressemblaient à des pierres tombales luisantes et froides sous les lueurs des lampadaires. Novembre, mois des morts et mortelle saison, maculait de teintes grises la nature enterrée vivante, jusqu'à ce que la neige, tel un suaire, recouvre la ville et ses constructions humaines. 
La rue Notre-Dame-du-Merci, typique de Montréal avec ses escaliers extérieurs menant au deuxième étage - qui était en fait le premier - s'ouvrait au sud-est. En cette saison, les premiers rayons du soleil frappaient de plein fouet les rampes d'escalier, les poteaux des galeries, les pointes des corniches, jusqu'à ce que s'illuminent d'or et d'orange les façades du côté nord, en étirant horizontalement les ombres, tels des spectres aplatis de honte. 
Une à une, la lumière jaune de l'unique ampoule à incandescence fixée au plafond des cuisines dorait les fenêtres, les faisant ressembler à de petits carrés de beurre. Près de cette ampoule pendouillait le ruban à mouches sur lequel les envahissants insectes attirés par la lumière venaient, même si tard en saison, s'agglutiner les pattes, et se condamner à mourir desséchés. 
Dans chacun des logements de cette rue figée, alors que le soleil délayait ses couleurs sur l'horizon, des enfants s'éveillaient sous les draps chauds, des tranches de pain brunissaient dans les grille-pains, des oeufs grésillaient dans les poêlons, du gruau se faisait une peau dans le chaudron brûlant. 
Comme chaque matin, Amaël alluma la radio, mettant le volume le plus bas possible. Dans toutes les familles, cet appareil occupait le centre de la maison, nécrosant le silence avec ses nouvelles, sa musique, ses radio-romans - genre Zézette! - et, bien sûr, avec les prévisions de la météo. 
Amaël préparait déjà le déjeuner, maniant chaudrons, vaisselle et ustensiles avec précaution. Il entendait sa petite soeur Sidonie remuer dans la salle de bain, et constata que, contrairement à ses habitudes, elle y était enfermée depuis plus de quinze minutes, elle qui prenait à peine cinq minutes pour se laver en faisant jaillir pyjama, eau et serviette dans toutes les directions. 
C'était un de ces matins où chacun souhaitait n'avoir pas d'obligation au travail ou à l'école, pour ne pas subir l'éblouissement de la lumière du plafond, et ensuite être saisi par la cruelle humidité en mettant les pieds dehors. Même le premier jet de la douche cinglait la peau et les émotions, crispant l'humeur dans un frissonnant sursaut. 
Depuis quelques semaines, Amaël trouvait sa soeur différente, voire étrange, mais sans pouvoir décrire ces bizarreries qui s'intégraient à merveille dans sa nouvelle personnalité. Il la trouvait jolie - par rapport à la Thérèse Hétu surtout; il la trouvait intelligente aussi. Mais tous les jours, et malgré lui, il la traitait de laide et de niaiseuse. C'était d'ailleurs le traitement qu'administrait la plupart des frères à leur soeur cadette, par jalousie souvent, mais aussi par une décharge d'agressivité dont ils ne connaissaient pas la source, se contentant de décalquer brutalement leurs frustrations sur l'être le plus faible et le plus démuni qu'ils avaient sous la main, et qui, bonheur suprême, ne pouvait appeler un grand frère à leur secours. 
Amaël blessait l'âme de sa soeur avec des mots, mais aussi son corps en tirant ses cheveux, ou en pinçant sa petite chair. Toutes ces actions ne laissaient aucune trace physique, mais causaient des souffrances réelles et ressenties. 
Il y a un mois, Sidonie avait collé sur la porte de sa chambre une petite affiche: «Défense d'entrer sous peine d'évanouissement». Chaque membre de la famille se questionna sur le sens du mot «évanouissement» - Perte de connaissance? Disparition totale? - mais sans pouvoir répondre à cette question, et sans le demander à la principale intéressée, n'y voyant finalement - ou ne souhaitant n'y voir- qu'un simple caprice. 
Amaël entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir, puis se refermer. Toute nue, c'est-à-dire dépouillée de toute décence, Sidonie passa devant son frère à la fois étonné et anxieux d'examiner fébrilement le corps d'une fille, fût-elle sa soeur. Elle traversa la cuisine, le regard droit et franc, les bras battant une marche non militaire, mais décidée, hautaine autant qu'un humain nu de fesses pouvait l'être.  
Le jeune garçon trouva drôle que sa soeur fût blanche de tronc - du cou aux fesses - et très brune de visage, de bras et de jambes. Car Sidonie profitait de toutes les occasions d'être au soleil et au vent, vêtue d'une petite robe, courant sur la rue, flânant au petit parc, parfois seule, souvent avec des amies, riant et chantant, simplement, sans complications, heureuse parce qu'inconsciente de son existence. 
Sidonie s'arrêta devant l'évier où s'amoncelait une montagne de vaisselle sale, resta jongleuse quelques instants, puis d'un geste décidé, elle prit un couteau à steak au manche noir, avec encore sur la lame finement dentelée le gras de la viande mangée la veille. 
Sans dire un mot, muette de bouche et de regard, elle repassa devant son frère qui recula, craignant stupidement d'être poignardé. Puis, au bout du couloir, Sidonie entra dans sa chambre, et laissa la porte entrouverte. 
Ce comportement intrigua Amaël qui s'approcha et risqua un coup d'oeil dans cette chambre où il n'avait plus le droit de pénétrer depuis le jour où - il s'en souvenait très bien - il avait surpris sa soeur dans le garde-robe en train de parler à son éléphant. 
Sidonie regroupait maintenant tous ses animaux en peluche pour former une longue caravane divisant le lit en deux dans le sens de la longueur. Elle avait une collection hors du commun de lapins, de chats, d'éléphants, de canards, d'hippopotames, de girafes. Mais était-ce là les objets qui allaient l'aider à se pénétrer de l'idée de la mort? Ces risibles imitations d'animaux existants, achetés quelques dollars pour aspirer les affections de l'enfant et occuper ses mains et son coeur, ne deviendraient-ils pas des mémentos muris fort différents des têtes de mort et des dieux crucifiés, alors que la religion catholique était exclue de cette maison d'athées, choix cependant non déclaré afin d'éviter l'ostracisme des voisins, des élèves de l'école, des citoyens de la ville, voire des habitants du pays tout entier? 
Loin de tous ces excès de zèle inspirés par la foi, Sidonie allongea son corps sur le dos, son flanc droit longeant le vide. En tenant le couteau dans sa main gauche, dans un geste lent et assuré, elle entailla profondément les veines de son poignet droit, un poignet si petit que la lame pénétra instantanément jusqu'à l'os, tranchant net les tendons et la racine du cri. Le sang s'extravasa sous les pulsations du coeur, et plus abondamment qu'il ne semblait possible pour un si petit corps. Sous le choc de la première impulsion, quelques minuscules gouttes de sang jaillirent impétueusement et tombèrent sur son petit ventre blanc, tout autour du nombril, cette petite cicatrice arrondie où entra en elle tout ce que sa mère lui avait donné de vie, de molécules et d'atomes qui s'étaient crochetés à son corps par milliard, donnant formes à ses organes, à ses viscères, à ses os, à ses membres, à son cerveau, à sa peau, avant que ne se développent les émotions et les sentiments, puis les idées, et, finalement, le mémoriel perturbateur. 
Amaël ne réagit pas devant ce geste, demeurant immobile, incapable de saisir consciemment l'ampleur du drame de sa petite soeur s'ouvrant à la mort, subissant l'altération de ses facultés mentales et corporelles qui empêchait la fuite, car ses jambes n'auraient pas fait un pas. Il ne pouvait non plus détourner son regard, fermer les yeux, ou avertir sa mère par un long cri flagellant ses cordes vocales tendues comme des amarres prêtes à se rompre. Pourtant, il n'était pas le genre de petit garçon à rester sans réagir lorsqu'une situation le provoquait. Mais aujourd'hui, le destin le retenait plaqué contre sa peur. 
Immédiatement après son geste, Sidonie avait fermé ses yeux, obnubilant les seules ouvertures sur ce monde extérieur devenu désuet, évitant ainsi d'être éborgné par la morale qui, inévitablement, se concentrerait sur sa conscience pour la culpabiliser. 
Mais juste avant que ses paupières ne s'abaissent, Sidonie avait encore ses yeux ardents et brillants de petite fille épanouie et curieuse qu'une fatalité faisait basculer dans l'auto-destruction. 
Le médecin qui viendra constater le décès soulèvera la paupière de l'oeil terne et verra la fixité de l'oeil mort ayant perdu sa malice dans l'anéantissement de l'éblouissement du regard. Au-delà de ses iris bleus - du même bleu que celui de son père, bleu de mer et de ciel - pointera la limpidité du néant, là où tout n'a jamais existé. Bien sûr, il sera facile, après coup, de débusquer de petits indices certifiant l'accomplissement inévitable d'un tel drame, quand rien ne l'annonçait. 
Mais ce qui étonnera le plus, ce sera cette absence d'ambivalence dans le geste de ce bras vivant provoquant sa propre mort, comme s'il était naturel, et même nécessaire, qu'il le fasse. Cette enfant de dix ans n'avait laissé aucun indice, aucun signe n’indiquant une quelconque hésitation avant ce passage à la mort. Ce n'était pas une souffrance morale ou physique qu'elle voulait tuer, mais la vie en elle, ou plutôt une partie de cette vie universelle. Car elle avait compris que ce qui constituait la nature même de sa naissance, c'était la mort de ce corps qui la retenait intimement, presque impudiquement, dans une existence qui n'était pas la sienne, pressentant, dans sa réflexion spontanée, le paradoxe qu'elle avait d'abord été avant d'être. 
Sidonie n'avait pourtant jamais eu de crises suicidaires auparavant, ce qui aurait été peut-être le point de départ d'une vie meilleure. C'était comme si, instantanément, elle avait voulu sauter de la vie à la mort, comme la décision de sauter une marche dans un escalier, sans raison, pour briser la monotonie, ou pour accélérer la montée - ou la descente, comme si sa vie n'était qu'une étape vers un élément meilleur, ou tout simplement une erreur d'aiguillage sur une quelconque voie métaphysique. 
D'ailleurs, Sidonie ne saurait quoi penser de tous ces sermons philosophiques. Ce qu'elle voulait arrêter, c'était la vie physiologique: organes, viscères, coeur, sang, cerveau, et toutes les palpitations, les reflux, les hoquets, les contractions et autres spasmes existentiels. Elle voulait ne plus voir bouger son corps, ne plus voir ses mains prendre un objet, ne plus voir ses pieds fouler l'herbe ou l'asphalte. Elle s'était étonnée un jour à vouloir porter une collerette l'empêchant de voir son corps, comme pour les bébés singes. Ce qui la rassurait malgré elle, c'était qu'au-delà de ce corps qui retournerait en poussière, il n'y aurait plus aucune action à poser. Et puisqu'elle n'avait rien commencé, elle n'avait rien à finir. 
Tous se souviendraient d'elle comme d'une enfant sans troubles de comportements, c'est à dire sans colères, sans oppositions d'aucune sorte, sans agressivité, et aussi sans troubles physiologiques de l'alimentation, de la propreté ou du langage. 
Mais Sidonie avait tant lutté, peut-être plus que d'autres enfants, pour parvenir à ce petit âge de dix ans sans faire de remous, considérant tout de même qu'elle remuait encore trop pour le peu d'espace que son corps occupait. 
Jusqu'au moment où la lame se posa sur sa peau, mais sans encore l'entailler, nul sentiment d'impuissance ou de désespoir ne l'avait assailli. Mais lorsque la lame trancha sa chair d'un millimètre, une douleur psychologique insupportable, comme un mal précis et localisé, court-circuita ses idées et la plongea dans une somnolence salvatrice. Jusqu'à cette fraction du temps entre la décision et la mécanique du geste, alors que les muscles se contractent sous l'influx électrique, elle ne pouvait même pas espérer parvenir à un mieux-être, puisqu'il n'y avait jamais eu de mal-être. Contrairement à l'adolescent qui ne voit que l'avenir, elle ne voyait que son court passé, et ce geste tendu vers son poignet. Il lui manquait la véritable inquiétude qui l'aurait dévié de cette fatalité librement choisie. Mais était-ce réellement une fatalité, ou était-ce une nécessité obéissant à une détermination extérieure, à une force surnaturelle sans idée de malédiction, mais amenant un destin irrévocable? 
Sidonie n'aura donc plus de destinée à connaître, plus de confiance à acquérir pour déployer sa nature humaine, puisqu'il ne restera plus rien d'humain en elle, sachant qu'on craint plus les fantômes que les ossements. Mais ce geste s'imposait comme une façon drastique de dire «non» à la vie, mais sans dire «oui» à une certaine mort, et, forcément, à quelque chose que l'imagination humaine, logiquement, ne pouvait imaginer. Se suicider, c'était dire plus que «non» - car la négation appelle des gestes et des actions en réponse à cette décision ou ce refus- c'était imposer sa mort comme une réponse définitive. Mais cette mort s'imposait aussi aux personnes restantes qui ne pourraient plus réparer les erreurs ou les blessures morales infligées à l'enfant; même les menaces, ou les projets la concernant, devenaient non avenus. Ne resteraient que les remords des paroles dites et maintenant regrettées, et les paroles non dites ayant parfois plus d'importance, parce que c'était sûrement celles-là que l'enfant voulait entendre. 
Sidonie avait donc coupé court à toutes les actions étrangères qui lui étaient destinées - c'est-à-dire toutes ces actions qui ne lui appartenaient pas, qui ne lui étaient pas propres, comme des corps étrangers se logeant en elle pour la modifier, voire pour la métamorphoser, et la rapprocher non d'une originalité souhaitée, mais de la banalité, et où le mot «étranger» prenait ici tout son vieux sens, soit celui de «l'éloigner» d'elle-même. Et toutes ces actions mettaient en jeu - comment pourrait-il en être autrement? - son coeur, son corps, et son âme aussi. 
Se suicider, c'était alors partir en claquant la porte, pour ne plus jamais revenir. Et cohérente en tout, autant dans son raisonnement que dans son action, Sidonie avait consciemment choisi une façon de se tuer qui ne pouvait en aucune façon faire penser à un accident. Ce qui lui advenait n'était pas fortuit, mais sciemment pensé pour supprimer sa substance physique. Un suicidologue refuserait cette mort, comme si cette extinction d'un petit corps enlevait un organe vital à la société, alors qu'il mourrait des milliers de personnes chaque jour, confirmant en cela que la plupart des interdits touchaient le corps lui-même dans son existence spatiale, telle sa propre nudité. 
Amaël regardait maintenant sa soeur avec une intensité ahurissante, car le visage de Sidonie avait subitement pâli, et sa peau très brune prenait peu à peu la teinte grise des vieilles pierres. Non à cause du sang qui lentement la quittait, mais par le choc émotif qu'un tel geste, même prémédité, ne manquait pas de provoquer. 
Amaël se rappela qu'elle aimait le vent, ne sachant pourquoi une telle pensée lui venait, alors que tout autour de lui se pétrifiait, et que lui-même stagnait au fond de sa peur debout devant sa soeur gisante. «Le vent m'effrite comme les pierres» disait-elle, sans que l'on comprenne exactement ce qu'elle voulait dire. Peut-être pensait-elle vivre des millions d'années, comme ces pierres se dressant sur les horizons enflammés? 
Mais ce temps considéré dans sa durée, seconde ou année, court ou long, toutes ces tranches de temps inventées afin de donner à l'homme un moment de répit n'existaient plus depuis que, sur l'horloge de sa chambre, Sidonie avait changé les chiffres de place, les mélangeant sans logique, au hasard. «Le temps fragmenté n'est plus!» répétait-elle avec conviction à ces gens étonnés qu'un enfant de cet âge puisse avoir de telles idées. 
Mais pour Sidonie, il ne restait que le temps linéaire s'amalgamant à l'espace, revenant ainsi dans le passé originel où la matière coulait comme dans un sablier. Pour elle, les mots «récemment», «hier», «demain», «jadis», «autrefois», «anciennement», et même «aujourd'hui» ou «jamais», n'avaient plus aucune signification. La seule notion de temps qu'elle utilisait - puisqu'elle existait encore physiquement - était le temps des verbes. Si on lui demandait: «Quand feras-tu cela?», elle répondait: «Je ferai», démontrant ainsi qu'il existait encore un futur. 
Même si Amaël pouvait à peine penser à cause du bourdonnement assourdissant du sang dans son cerveau, il rechercha la cause de son inaction, se demandant pourquoi il ne réagissait pas, pourquoi il ne poussait pas la porte au lieu de laisser son oeil gauche - et toute la moitié gauche de son corps en fait - regarder, comme s'il se complaisait dans l'horreur que suscitait en lui l'agonie de sa petite soeur. 
Il trouva finalement que sa soeur était très longue à mourir. Les pulsations du coeur dans le petit poignet de Sidonie, très rapides au début, avaient brusquement ralenti. Le sang s'écoulait maintenant goutte à goutte entre les doigts étalés en éventail. Et les gouttelettes éclairées par la lumière de la lampe de chevet devenaient de petits grenats tombant vers le sol, dans un silence irréel. 
Sidonie avait ramené son bras droit sur sa petite poitrine - la main tenait encore le couteau ensanglanté - formant ainsi la moitié de l'attitude qu'elle prenait lorsqu'elle se fâchait. Dans ces moments de petites colères, elle croisait ses bras sur sa poitrine, pour protéger son coeur, ou pour ne pas qu'il déborde, comme si elle avait le coeur gros. Elle marchait ainsi quelques minutes dans la maison, puis, quand l'émotivité s'évanouissait en elle, elle laissait retomber ses bras. Cette attitude ne pouvait être prise pour de la bouderie, laquelle s'accompagne immanquablement d'un air renfrogné, alors qu'elle gardait dans ces moments - rares toutefois - un visage ouvert quoiqu’un peu triste. C'était pour elle un jeu plus qu'une démonstration de force. 
Les petits muscles du visage de Sidonie tressaillaient à peine maintenant. Puis Amaël ne sut plus si sa soeur vivait encore, car le sang ne coulait plus. Il remarqua que le corps gardait le même volume, malgré qu'il soit vidé de son sang. Mais l'était-il vraiment? Le coeur en retenait-il encore une certaine quantité?
 
Sidonie semblait dormir, calme et sereine. Amaël ne savait pas qu'elle entrait à ce moment dans la mort avec cette sensation d'avancer dans la mer en montant, et que cette masse dense et mobile suspendue dans le vide l'attirait irrémédiablement maintenant que son corps de petite fille s'était affaissé sur lui-même, broyé peu à peu par le poids du néant. Il ne savait pas non plus qu'elle voyait des milliers d'âmes aller et venir, comme ces essaims d'oiseaux se déplaçant au-dessus des champs en grappes denses dans un accord parfait; d'autres âmes volaient comme ces oiseaux rasant l'eau en longs défilés sombres au-dessus de la mer renversée, à toute vitesse, clappant parfois de leur bout d'ailes les pointes des vagues. 
Puis, tout à coup, il ne resta devant Sidonie qu'un ciel immensément lumineux sous une mer immensément calme. Et elle se dit qu'il n'y avait rien de plus vide que ces deux éléments mis l'un au-dessus de l'autre, et soudés par l'horizon tendu comme un fil. Elle leva son bras devant elle pour toucher ce vide, et ce bras prit une telle importance à ses yeux qu'elle eut la preuve irréfutable d'exister encore quelque part entre la mer et le ciel, ou entre l'essence et l'existence. 
Sidéré, Amaël vit le bras pendant hors du lit, et par lequel le sang s'était écoulé, se soulever et venir se poser sur l'autre déjà replié sur la poitrine nue. Dans cette position, Sidonie ressemblait maintenant à une morte, ou à la statue de pierre d'une reine égyptienne immobile et froide dans la pénombre. Lors d'un voyage en Égypte avec son père voulant l'initier à un rite funéraire fascinant, il avait connu cette atmosphère à la fois macabre et féérique. Et Amaël revit les lueurs tremblantes des flambeaux, et entendit la musique et les chants des femmes et des hommes... 
Il remarqua soudainement la grande flaque de sang sur le plancher de chêne, immonde et informe, ce sang erratique déversé de la chair par une étroite ouverture, ce liquide visqueux, bourré de globules et de leucocytes qui, quelques minutes auparavant, charriait la vie dans le petit corps de sa soeur en parcourant veines et veinules, nourrissant le cerveau et les orteils, la langue et les yeux, indifféremment, bouillonnant dans le coeur et les artères, frappant les tempes, battant le pouls, fermement, imperturbablement, permettant au corps de survivre et de se défendre contre d'autres univers si microscopiques soient-ils, et qui, maintenant, séchait sur le sol. 
Il pensa à une momification ratée, contrairement à cette scène où il avait vu le sang du mort recueilli dans des urnes avec de grandes précautions, pour ne pas en répandre une goutte, et garder ainsi l'intégralité de la matière ayant porté la vie et charrié les émotions, les humeurs et la joie, la force et l'ivresse. 
Fallait-il donc qu'à l'ultime cessation de la vie, le corps de sa petite soeur ne puisse recevoir le respect du départ immuable, comme s'il n'était plus d'aucune utilité? Amaël sentait l'odeur fade de la mort - ou était-ce l'odeur du sang? - et il eut brusquement envie d'asperger le corps de parfums, afin qu'elle sente bon, et d'embaumer ainsi la mort.  
Mais ne pouvant plus bouger, il pleura. Sa petite soeur n'aura vécu, somme tout, que l'instant des réprimandes de ses parents, et des jalousies de son frère. 
Devant les assauts d'autrui, inévitables, Sidonie ne pouvait offrir, timidement, que sa propre existence nue, et parvenant, en cet instant tragique, à n'offrir encore que la nudité de sa veine éclatée! 
Amaël sursauta lorsqu'il entendit la porte d'entrée s'ouvrir derrière lui. Son père s'approcha sans dire un mot, et, intrigué, jeta un coup d'oeil par-dessus l'épaule de son fils. Ses yeux s'agrandirent d'horreur jusqu'à l'incompréhension. Il bouscula violemment Amaël, le projetant sur le sol, comme s'il eut été un pantin - ce qu'il était réellement en fait - et se jeta sur le corps de sa fille-enfant maintenant toute froide. 
Dans la chambre voisine, la mère dormait encore profondément.
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vendredi 25 janvier 2019

Informatique - Le Salon de l'Ordinateur (1970)

Info 401 Groupe 103 - Travail pratique, remis le 23 septembre 1970

«La Salon de l'Ordinateur, Place Bonaventure - Rapport de visite»

Note: 60 %

Commentaire du professeur:
Les «gadgets» qui n'intéressaient que les «visiteurs curieux» vous ont également impressionné!



Photos: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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mercredi 23 janvier 2019

Bandes dessinées - Earl et Mooch

J'ai bien aimé la bande dessinée de Patrick McDonnell: Earl et Mooch. Mooch, le chat noir curieux, gourmand et paresseux reste mon préféré. Dans la version originale anglaise, il avait la particularité de dire "sh" dans certains mots (smoshie au lieu de smoothie par exemple); heureusement, cette particularité a été conservée dans la version française, disant «Ouiche» pour oui, ou «Merchi» pour merci, entre autres. J'ai adopté, bien malgré moi, son «ouiche», que j'utilise, parfois, aujoud'hui.

Détail 1

Quant au chien Earl, c'est un Jack Russell terrier fidèle et dévoué à son maître Ozzie, avec qui il passe le plus clair de son temps, le reste étant avec son ami Mooch.

Tome 1 - La nuit des chasseurs

Planche 1


Tome 2 - Mon maître, ce héros

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lundi 21 janvier 2019

Librairies - Le Palais du livre

En 1976, un nouveau propriétaire rénove un bâtiment du Vieux-Montréal et y installe le Palais du livre. Avec plus de quatre millions de livres neufs et usagés, répartis sur cinq étages, le commerce est considéré comme la plus grande librairie de détail au Canada. En 1983, un incendie majeur détruit tout l’immeuble, seule la façade est sauvegardée. (Source: WEB)

Annonce publicitaire
La Presse, Montréal, Samedi 28 juin 1980 Cahier C


Quatre (4) millions de livres répartis sur 6 étages... Tel était le Palais du livre, à Montréal. C'était ahurissant. J'ai visité à quelques reprises ce lieu, cet univers devrais-je dire, escaladant les escaliers tout en me faufilant entre les piles de livres et de revues encombrant chacune des marches. Le propriétaire achetait pratiquement tout. Je me souviens lui avoir vendu toute ma collection de magazines Pilote, entre autres le Pilote du 4 février 1968, avec la couverture de Greg représentant Achille Talon.


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jeudi 17 janvier 2019

Les mains ravisseuses - Sans titre 1

J’ai envoyé la main à un ami.
J’ai senti, sous ma main, la chaleur de la fièvre.
J’ai posé ma main sur ton épaule.
J’ai rincé mes mains à l’eau froide.
J’ai tenu à la main un petit livre ouvert.
J’ai mis mes mains dans mes poches.
J’ai, de mes mains, soulever tes seins.
J’arrête là.
Voilà une journée bien remplie.

Les mains ravisseuses (Pierre Rousseau, 2001)
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lundi 14 janvier 2019

Informatique - Ancienne flamme

Alors que j'étudiais en informatique au cégep de Maisonneuve (mars 1969), j'ai utilisé l'ordinateur du collège pour écrire en GRAND et par un agencement du prénom au complet, la première lettre de Francine, ma copine de l'époque (Voir documents 1 et 2).

Pour faire plus poétique, j'utilisais les termes suivants: <bleu> pour le nom de la procédure et <coeur> pour la variable (Voir document 3).

Document 1

Document 2

Document 3

Photos: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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dimanche 13 janvier 2019

Lieux littéraires - Terrasses Saint-Sulpice

En l'an 2000, je notais dans mon journal: 

11 mai 2000 - Arcade au Saint-Sulpice 18 heures à 20 heures 
18 mai 2000 - Estuaire Saint-Sulpice 17 heures à 19 heures 
28 septembre 2000 - Estuaire Saint-Sulpice Steak Haché lancement


C'était un lieu de la rue Saint-Denis (Montréal) que je fréquentais surtout pour son côté "littérature". En effet, les Terrasses Saint-Sulpice commanditait plusieurs prix et bourses, entre autres le Prix de la poésie des Terrasses Saint-Sulpice (Revue L'Estuaire); aussi des lancements, de la Revue Arcade entre autres.

C'est d'ailleurs lors d'un lancement (11 mai 2000) que j'ai appris le décès, quelques heures auparavant, de Janou Saint-Denis, poète, essayiste, comédienne et metteuse en scène québécoise. 

Une heure plus tard, je rencontrais dans un autre café le groupe de la Compagnie à numéro, leur annonçant la nouvelle sans préambule. Je me souviens encore de leurs visages étonnés.
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samedi 12 janvier 2019

Précis de décomposition - Lettre à Elsa Marie

Extrait de Précis de décomposition, (Pierre Rousseau, 2000). «Lettre à Elsa-Marie»

«Rangez vos larmes, il n’y aura pas de pardon pour les faibles, dit le prêcheur. Dieu, qui est toute-puissance, méprise ceux qui se mettent à genoux et se rendent sans combattre. Comment alors pourrait-il prouver sa force ?» 

La mystification est l’enjeu de bien des charlatans. Mais ce qui me désole, c’est la foi que les pauvres y mettent. Sauvé quelqu'un, c’est le ramener à une autre vie : celle-là même du sauveteur. La prédestination est la trouvaille la plus absurde qu’il n’ait été donné à l’homme d’imaginer. Le destin arrive quoi qu’on y fasse, sinon il n’existerait pas. Seuls le temps présent et le passé existent pour l'humain, car espérer est une action statique et le désespoir, un recul dynamique. Le futur, c’est pour les morts seulement. Mme Jeanne-Marie Bouvier de La Motte souffrait d’un pur amour quelque peu inquiétant (1); Chaunu savait avec son futur sans avenir(2); tout comme Croce, l’antifasciste (3); Kant, à la vie parfaitement réglée, croyait à l’immortalité de l’âme(4) et Averroès à son éternité de la matière (5); Saint-Augustin, adepte des plaisirs charnels — avant la naissance de sa foi — écrit que le temps «n’est qu’une distension, probablement de l’âme elle-même»(6).

L’éternité seule appartient à Dieu : il a le monopole du temps, mais ne se préoccupe pas trop du passé, semble-t-il. L’immuable mérite-t-il plus le respect que le passager ? En ce cas, l’homme est vil quand il admire ce qui dure longtemps. En créant la vie, la Nature cherche à lutter contre les forces de destruction. Dans certains cas, l’humain devrait comprendre que ce n’est pas l’individu qui prime, mais la multitude, la lignée, le temps... Dieu a-t-il, à un certain moment, eu peur de mourir ? (Silence) Si en plus d’être, il faut que je fusse ! disais-je à mes détracteurs. Si je pouvais suspendre le temps, ce serait au bout d’une corde de pendu ; ou j’ouvrirais une boutique qui vend des temps morts et je la nommerais L’ombre. En fait, le principal n’était pas ce que je faisais, mais ce que je m’apprêtais à faire après quelques veillées d’armes, pour que les lendemains soient des épreuves à rebours, des regrets posthumes, des colères sans âges. (Silence) Dans la vie d’un humain, tous les dix ans marque une fin de décadence. Tout repart à zéro ou tout s’accumule sur les anciennes ruines.

Pour créer l’avenir, il faut trahir le passé. On ne fabrique pas une statue sans briser de pierre. Ainsi en est-il de toute vie sans histoire. Jamais de ma vie — et c’était peut-être ça le plus terrible — je ne pouvais dire comme Dick Powell : «C’est arrivé demain»(7). À l’inverse, plusieurs humains vivent de la procrastination. L’avenir est loin quand aucune action ne débute. Telle cette Mimi Pinson qui ponctue le temps, de jour en jour, de petits rires désuets(8). Denys le Petit — dont on ignore ironiquement  la date de naissance — commença à compter les années à partir de la naissance de Jésus-Christ(9). Idée discutable. Mais il se trompa de quatre ans, tu t'en rends compte. Et moi qui payais nos comptes avec quatre mois de retard, et tu m’appelais le brouillon... Quatre ans sur deux milles ans, là, tu vois. «Notre science vient de la mort (Égypte), J.C. noue tous les fils au temps zéro» m’a dit Serres(10). (Silence) Elsa-Marie, dis-moi que je suis toujours aussi beau. Je répondrai «Je sais !», moi qui sais ne rien savoir. Tout à l’opposé de la connaissance acquise par personne interposée, le savoir demeure une bonne cuvée pour celui qui se saoule de vanité. Seuls les sots et les faibles recherchent les éloges. La  personne ne se grandit que dans son oeuvre. « Celui qui aime la gloire met son propre bonheur dans les émotions des autres» m’a dit Marc‑Aurèle. Remarque que les événements passent plus vite que l’homme, de telle sorte que sa gloire devient facilement le bonheur des autres.
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Wikipédia, Larousse, etc. :

(1) Jeanne-Marie Bouvier de La Motte - appelée couramment Madame Guyon, — (Montargis, 1648 - Blois, 1717), mystique française. Elle professa le quiétisme, doctrine condamnée par Rome. Fénelon chercha à la défendre dans ses Maximes des saints (1697).

(2) Pierre Chaunu, né le 17 août 1923 à Belleville-sur-Meuse et mort à Caen le 22 octobre 20091, est un historien français. Spécialiste de l'Amérique espagnole et de l’histoire sociale et religieuse de la France de l'Ancien Régime (XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles), grande figure française de l'histoire quantitative et sérielle, cet agrégé d'histoire et docteur ès lettres a été professeur émérite à Paris IV-Sorbonne, membre de l'Institut et commandeur de la Légion d'honneur. Écrivit Un futur sans avenir (1979)

(3) Croce (Benedetto) (Pescasseroli, Abruzzes, 1866 - ­ Naples, 1952), critique littéraire, historien et philosophe italien. Influencé principalement par G. Vico et Hegel, il a montré, dans le développement progressif de la liberté, le moteur du passé et l’idéal spirituel du futur : Philosophie de la pratique (1908), Bréviaire d’esthétique (1913), l’Histoire comme pensée et action (1938), etc.

(4) Kant — (jusque dans ses horaires), fut consacrée à la connaissance et à l’enseignement. Kant ne se propose pas de créer une science, une morale ou une métaphysique nouvelle : sa révolution critique est une interrogation sur la légitimité du savoir

(5) Averroès (Cordoue, 1126 ­ Marrakech, 1198), philosophe et médecin arabe ; commentateur d’Aristote. Sa doctrine, l’averroïsme, caractérisé par la théorie de l’éternité de la matière et celle de «l’intellect actif», intermédiaire entre Dieu et les hommes, fut condamné par l’Université de Paris, par l’Église en 1240, par le Ve concile de Latran en 1513 (Léon X) et par l’orthodoxie musulmane.

(6) Saint-Augustin - Les Confessions (en latin Confessiones) est une œuvre autobiographique d'Augustin d'Hippone, écrite entre 397 et 401, où il raconte sa quête de Dieu. Il a donc un double but : avouer ses péchés et ses fautes directement à Dieu (confession au sens chrétien) mais aussi proclamer la gloire de Dieu. 

(7) C’est arrivé demain, film américain de René Clair (1943), comédie fantastique dont le héros peut chaque jour, de façon surnaturelle, lire le journal du lendemain; avec Dick Powell (1904 ­- 1963).

(8) Mimi Pinson - nouvelle de Musset (1845) : un étudiant en médecine très sérieux, Eugène Aubert, rencontre une grisette du Quartier latin, Mimi Pinson, dont il ne comprend pas qu’elle vive au jour le jour, sans souci du lendemain.

(9) Denys le Petit (en latin Dionysius Exiguus), né vers 470 dans la province romaine de Scythie mineure sur les bords du Pont-Euxin (actuelle Dobrogée, en Roumanie) et mort entre 537 et 555 à Rome, est un religieux chrétien érudit, installé à Rome de l'an 497 environ à sa mort, qui fut l'un des principaux « passeurs », à son époque, entre les chrétientés orientale et occidentale.

(10) Statues, p328.
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mardi 8 janvier 2019

Religion - Certificat d'instruction religieuse

Voici, approuvé par le Comité Catholique du Conseil de l'Instruction publique, le Certificat d'instruction religieuse reçu avec Grande Distinction le 18 mai 1962, en la paroisse Saint-Jean-Berchmans (Montréal).

Photo: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau

Quelques autres dates «importantes» apparaissent aussi sur ce document:

27 mai 1962:  Profession de foi 
10 avril 1949: Baptême 
20 avril 1956: Première communion 
21 avril 1956: Confirmation

En cette église... Saint-Jean-Berchmans (Montréal)

Pourquoi le NOUS, dans « Nous, sousigné certifions que... » et « Nous, prêtre sousigné, attestons que... », alors qu'il n'y a qu'un seul nom ?

Certifier: authentifier (que j'ai subi avec G. D. l'examen de connaissances religieuses) par une personne compétente.

Attester: affirmer comme étant vrai en tant que personne fiable (que j'ai fait ma profession de foi solennelle et renouvelé mes promesses de vie chrétienne).

Subir: se soumettre de façon volontaire à...

Les 3V: Je suis la voie, la vérité et la vie.

Document signé par Omer et Edgar.
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dimanche 6 janvier 2019

Littérature française - Ludovic Morateur

En 1978, je notais dans mon journal:
3 juin 1978 Ludovic Morateur, Daninos
Pierre Daninos, Ludovic Morateur ou le plus que parfait,
Librairie Plon, 1970, Livre de poche 3638

Voici quelques passages relevés lors de cette lecture et quelques notes dans la marge:

En passant devant le lycée qui l'a formé, Janson-de-Sailly, il observe, une fois de plus, que le bleu du drapeau français, sous l'effet des averses, bave sur le blanc grisâtre - désolant, mais c'est un fait : notre bleu ne tient pas. Quant à lui, il se donne une bonne note. Pourrait mieux faire, sans doute, mais professionnellement, c'est une réussite : 17 sur 20. Il déplore que cette ère de surenchères verbales et de folie mathématique, qui cultive le chiffre au point qu'un rasoir se vend mieux s'il est 708 et un Boeing 747, ôte aux bons élèves la stimulante joie d'être dans les cinq premiers pour les noyer dans l'anonymat de groupes A, B, C, D, E. Enfin... il lui faut s'y faire, et il doit s'habituer, si un jeune homme lui envoie sans raison son poing en pleine figure, à ne pas répondre par retour, mais plutôt demander à l'adolescent, avec sa carte d'antécédents, s'il n'a pas été traumatisé par une mère abusive. Dans un monde restructuré où la pluridisciplinarité fait rage, il est normal que les traumatismes atteignent la fréquence des motivations. La simple cause désuète est remisée au garage des mots simples - qui connaîtront peut-être un jour la vogue des vieilles voitures. 6

Comment M. Morateur s'élèverait-il contre la magie du verbe même s'il y décèle le virus d'une technologie aux complications malignes ? 7

Il a déjà trouvé un nom, un nom qui comment par L, comme le veut la tradition (...) 8

Quelle présomption de se dire, sans savoir, les seuls êtres pensants? 9

De qui  Ludovic Morateur tient-il ces craintes puériles? 11

Avoir l'air de... Si important en France, où le ridicule, s'il ne tue plus personne, fait encore peur. 13

(...) fixer son choix... 22

Surtout avec une femme dont les lectures et l'écoute de R.T.L. développent, curieusement, le goût de la liberté chez les autres. 26

«Dépassé», tout cela, par le reste, par les us d'une époque qui passe son temps à se dépasser. 28

(...) où le silence et la solitude étaient devenus les vrais signes de l'indépendance et de la richesse. 35

Les hommes changent moins que leurs paradis fiscaux. 35

(...) cette société qui consommait déjà beaucoup avant d'être étiquetée de consommation. 37

C'est quelque chose tout de même, le jeu de cache-cache des choses, et ces choses qu'on retrouve en cherchant autre chose... 38

Tout de même, on a beau ne jamais être unique en son genre, M. Morateur, égocentriste, n'était pas, comme tant d'autres, porté à faire attendre quelqu'un parce qu'il le sentait pressé. Lorsqu'il voyait un conducteur guetter la place qu'il s'apprêtait à laisser dans une rue de Paris, cela ne lui donnait pas immédiatement envie de passer la plage arrière à l'aspirateur ou de consulter son carnet d'adresses. Il n'aimait pas faire attendre. Il eût donc aimé que les autres en fissent autant. Avait-il une tête, ou une voiture, à rappeler soudain aux autres qu'ils avaient oublié quelque chose ? Très souvent, quand il se présentait pour prendre la succession d'un  conducteur sur le point de démarrer, celui-ci, l'ayant vu, cherchait sous son tableau de bord quelque chose d'introuvable, ajustait son rétroviseur, nettoyait son pare-brise, feuilletait son calepin, enfilait ses gants et, s'il n'avait vraiment rien d'autre à faire, quittait à regret la place qu'il occupait, comme s'il se fût agi d'une propriété privée chèrement acquise. 40

Note: dans la marge: nombres 10 , 7 page 59

(...) qu'au pays de la logique et du bon sens, lorsqu'un automobiliste en percute un second, celui-ci devient un tiers. 64

(...) pour honorer un homme dont le cœur avait cessé de battre, on donnait son nom à une artère. 64

Étendue sur le lit à baldaquin, penchée au balcon sur l'eau du Grand Canal où les gondoles de lune de miel glissaient parmi les cageots, les tessons de bouteille et les épluchures d'oranges, Ludovic-Pygmalion lui apprenait de but en blanc, grosso modo,  à brûle-pourpoint, comment, au pays de la savonnette, de la patinette, des grandes fillettes, on changeait son fusil d'épaule, c'était chouette. Comment d'une pierre on pouvait faire deux coups. Et comment, en changeant son fusil d'épaule, on faisait flèche de tout bois.
Évidemment ça lui en bouchait un coin. Elle restait paf... baba, c'est-à-dire comme deux ronds de flan.
De nouveau, elle donnait sa langue au chat ; de nouveau, il l'embrassa. Ça lui pendait au nez comme un sifflet de deux sous. Mais ce bois, toujours ce bois... le bois dont on fait les flèches, la gueule, les flûtes, le bois du bois, avec sa biche aux abois...
- Dis-moi, Morateur adoré... Ce bois que vous vous chauffez avec, c'est quoi ? Tu veux pas expliquer moi ?... Would you dear... per piacere...
Il expliquait. Il expliqua. Elle aurait tant voulu  rien qu'une fois, mais une fois pour toutes, quels sont donc ces bâtons dont on rompt la conversation, ces gonds dont souvent nous sortons ces lapins que nous nous posons... Sans décrocher la lune, ni même attendre qu'un chameau passe par le chas d'une aiguille, elle aurait voulu, une fois, voir un pourpoint qu'on brûle, une fenêtre d'où l'argent se jette, une alouette tombant rôtie dans un bec, et un Monsieur qui, ayant tiré le diable par la queue, finit par ronger son frein en montant sur ses grands chevaux (plusieurs à la fois, c'est pas formidable ?) tout en prenant le mors aux dents.
- Un seul, notait Ludoviking, c'est tout l'art, et tu sais, ça donne un drôle de fil à retordre!
-- Retördre ? Moratür... Comme c'est pointu!
Vue de cette chambre vénitienne, la France apparaissait à Britt, les yeux fixés au plafond sur Europe enlevée par Jupiter dans un grand mouvement de jupons, comme un champ gigantesque où les gens passaient leur temps à couper les cheveux en quatre, les poires en deux, en en gardant une pour la soif, à couper court, à se couper l'herbe sous le pied, à chercher des aiguilles dans des bottes de foin, à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, à ruer dans les brancards et finalement, passant du coq à l'âne, à tomber les uns sur les autres à bras raccourcis...
Ah ! comme Venise était belle ! Comme la France paraissait drôle quand Britt essayait de l'apprendre ! 77

Le loisirama (...) 92

Car Noël, pour M. Morateur, (...) 113

(...) mais on vit qu'une première fois. 179

Photo: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
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