samedi 29 décembre 2018

Sans queues ni têtes - Extrait 1 - Propos décousus

Sans queues ni têtes (Pierre Rousseau, 1974) est une (brève) tentative d'écriture spontanée... et pas très réussie, je dois l'avouer. Voici donc un court extrait de ces propos décousus:


25 juillet 1974
Il ne faut pas que j’arrête d’écrire? Même pour chercher un autre su­jet ou une suite à ce que je dis. Je dois toujours écrire. Je crains cependant que ma main ne se fatigue déjà. Manque d’habitude? Peut-être. Peut-être si j’écrivais à la dactylo cela irait mieux. Mais je trouve que cela fait impersonnel. Tandis qu’à la main, les mots se forment au bout des doigts, graduellement. On n’a pas besoin de tous les former dans la tête avant de les écrire.
Mon dieu, ce que je viens d’écrire n’a pas de sens. Je ne suis pas habitué à penser vite. Je bafouille, j’écris de plus en plus mal. Vais-je abandonner de fatigue? D'épuisement mental? Ou à court d’idées?
La flamme brûle toujours, et elle brûlera sûrement encore lorsque j’aurai fini d’écrire. Une limite dans le temps. Sa vie fera plus longtemps que mon désir d’écrire. Son énergie est plus soutenue. Et pourquoi moi je ne pourrais pas faire pareil? Hein? Je suis un hom­me, un être humain, un être vivant. Et cette chandelle est inerte. Oui? Elle semble pourtant vivante. Elle fait partie de mon univers et je la possède oui oui oui non.
Je suis fou, je le sens. Les enfants crient dehors. Madame C. marche en haut. C’est mon univers, nous sommes tous UNI VERS. La cuisine est petite et la flamme tressaute de joie ou de crainte. 
Je suis seul dans ce cachot nauséabond. Les murs suintent de la morve verte. Cancer spatial qui ne finit pas de m'écœurer. Une porte qui claque et un rêve qui fuit comme un orgelet. Bon débarras.
Je suis monté (en haut) chercher la dactylo. (J’avais trop mal à la main). Madame C. m’a ouvert la porte, surprise, semble-t-il. Je n’ai rien dit, pas le goût. J’ai pris la dactylo lourde. « Fait-il frais en bas? » « Oui, on est bien. » Je suis descendu. La flamme était toujours là, m’attendant dans son univers. Avec la dactylo, je fais beaucoup d’erreurs de frappe. Mais ce n’est pas grave, ce qui compte un deux trois c’est l’idée que je fais trépassé dans mon écrit. Et j’ai vaguement l’impression que les idées ici présentes, levez vos mains, ne sont pas bien ben bain précises.
D'ailleurs, comme je me disais justement il y a quelques espaces temps d’ici, la cuisine est petite et la flamme tressaute de joie semble- t-il vaguement b. mon esprit surchauffé par un vague désespoir de ne pas trouver la planète HjTT 8 que m’a gracieusement offert la compagnie Kellogg en prime dans sa fichue boite de céréales molles dans un coke déshydraté que nous avons lugubrement manger sur le mont Albert par une belle journée près du vieux rocher blanc qu’elle m’avait offert en cadeau il y a 2552 ans de cela alors que j’étais très jeune.
_____________________

vendredi 28 décembre 2018

Sciences et techniques - La cybernétique et l'humain



Aurel David, La cybernétique et l'humain, Gallimard, Idée 67, 1967

Livre très intéressant, lu en (1967), avec quelques notes et soulignements:

1 Dans la marge: Cybernétique: remplacer l'homme par la machine

24 Simplification du dualisme cartésien; glande pinéale 

(dualisme cartésien) Une bonne partie de l'esprit a quitté l'homme (sous forme de machines à calculer) pour se ranger dans la zone des machines humaines matérielles. 25

41 Dans la marge: La machine ne «s'amuse pas», elle n'a pas d'à-côté. L'homme pourra-t-il suivre son rythme?

(...) qu'un certain nombre de bombes atomiques suffiraient à détruire en quelques instants notre fragile humanité et à annuler l'invraisemblable série de chances qui lui avait permis de subsister jusqu'ici. 42

(...) qu'un certain nombre de bombes atomiques suffiraient à détruire en quelques instants notre fragile humanité et à annuler l'invraisemblable série de chances qui lui avait permis de subsister jusqu'ici. 43

Nous devrions, au contraire, accueillir les machines avec espoir. Elles augmentent l'efficacité de notre défense et sont notre seule chance de nous maintenir et de gagner de vitesse les dangers qui se préparent. La défense de la vie exige une immense dépense de pensée asservie. Seules les machines  peuvent délivrer cette pensée avec l'intensité et la vitesse nécessaires. Nous ne pouvons lutter contre la matière qu'en dressant contre elle des machines et de la matière. On ne peut lutter contre d'autres éléphants qu'avec l'aide d'autres éléphants, apprivoisés. 43

Pourtant, pour la réalisation d'une seule tâche bien déterminée, il se trouvera toujours une machine plus robuste et moins coûteuse, plus puissante, plus rapide, plus précise, moins distraite. 85

Le corps humain est le seul point faible d'un ensemble mécanique. 85

Considéré en tant que machine, l'homme n'est même pas bon à servir les machines. 85

La croyance à la perfection du corps est en train de disparaître. 86

L'on finit par préférer une machine compréhensible à un homme que l'on doit laisser mourir parce qu'il se complaît dans un miracle capricieux. 92

Peut-être y a-t-il une crainte de perdre son âme, une angoisse méthodologique à mêler l'amour de l'homme aux calculs, comme un artiste peut craindre que le raisonnement ne désorganise l'ensemble de son inspiration. 96
L'esprit cybernétique tend vers la destruction de tout facteur humain. 97 Dans la marge: *

106 Dans la marge: L'homme seul ne peut capter toutes les masses d'informations scientifiques: il doit s'aider des machines,
Le développement des machines est continu et indéfini alors que notre pensée reste sur place. 107

De même qu'un marteau-pilon frappe plus fort que l'homme, les machines à penser penseront mieux que lui. 107

Lorsqu'elles auront acquis les fonctions intellectuelles nécessaires pour l'exploitation de l'ensemble du domaine asservi, les machines dépasseront l'homme et le court-circuiteront dans sa pensée comme elles l'ont déjà fait dans d'autres domaines. 107

Le criminologiste actuel est dualiste et platonicien lorsque, mis devant un homme qui maltraite sa femme et ses enfants, il lui fait passer une visite médicale détaillée, découvre que l'irascibilité était due à l'hypertension artérielle, soigne l'hypertension et rend à cet homme sa vie normale et l'amour des siens. 111

La peine n'a aucun caractère infamant, c'est un traitement. 116

Là où la guérison est possible, il faut soumettre le malade à un traitement médical et non juridique. L'accusation et la défense doivent être remplacées par l'examen médical. 117

Le criminel est un anormal à soigner ou à éliminer, non un coupable à punir ou à intimider. 117

Le criminel et un asocial et ira donc d'instinct contre tout ce que la Société craint et réprouve sous le nom de crime. 120

(...) l'on a beau créer des machines, il y aura toujours derrière elles un constructeur humain. 125

Le crime est un automatisme et le criminel un automate. 125

Page 128:

Page 129:

(...) que la vente ou le don du sang, lors des transfusions sanguines, constituait une transaction sur des biens aliénables (alors qu'il est interdit de vendre ou de donner un homme). 138

Page 148:

148 Dans la marge: L'homme n'est plus «attaché» aux objets, car ils sont «fabriqués».
C'est surtout la science qui est la plus puissante unificatrice des cerveaux. 152

154 Dans la marge: Le cœur humain peut être remplacé par un cœur artificiel... Que vaut le cœur?

(...) nous sommes des naufragés sur une planète vouée à la mort... 172


Photos: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau
_____________________________________

jeudi 27 décembre 2018

Actualités - Chapais

Le 31 décembre 1979, je notais dans mon agenda:

Lundi 31 décembre 1979 - Feu à  Chapais: 48 morts.

C'était une nouvelle horrible. Le 1er janvier 1980 vers 1 heure 30 du matin, une célébration du Nouvel An tourne au cauchemar lorsque Florent Cantin, un jeune homme de 21 ans, s’amuse à enflammer avec son briquet les branches de sapins qui décorent la salle communautaire Opémiska de Chapais (Nord-du-Québec). De nombreux résidents s’y étaient réunis pour célébrer la nouvelle année. Quarante-huit personnes meurent brûlées (41 le soir du drame et 7 n'ayant pas survécu à leurs blessures) ainsi qu'une cinquantaine de blessés.

Je compare cet événement à la tragédie de Lac-Mégantic, cette petite ville en Estrie. Le 6 juillet 2013, vers 1 h 14, un train de 72 wagons-citernes transportant du pétrole brut déraille dans le centre-ville de Lac-Mégantic. Cinq wagons-citernes explosent et un incendie ravage la ville. Bilan: 47 morts.

__________________________________

mercredi 26 décembre 2018

Petits textes à revoir - Échographie

Extrait de Petits textes à revoir, (Pierre Rousseau, 2000).

Échographie

Je parle à X, mais elle a l’esprit ailleurs. Nous sommes attablés dans un café-bistrot éminemment bruyant  : musique trop forte, machine à moudre le café, plein de bruits intermittents (sonneries de téléphones cellulaires, rires, éclats de voix, chaises déplacées, vaisselle), enfin, un lieu propice aux confidences. Je parle à X de mon dernier manuscrit, moi qui ne le fais jamais. C’est une grande générosité de ma part, elle devrait être contente…

– Excuse-moi, dit-elle. J’ai eu une dure journée.

X est médecin, obstétricienne. 

– Une héroïnomane, ajoute-t-elle. J’imagine le petit être.

Elle se lève  : «  Excuse-moi, je vais aux toilettes. »

Pendant qu’elle est partie, j’écris : « Le corps emmêlé de nerfs et de veines bleu os, le ventre bouillonnant de tripes et d’organes, l’esprit empêtré d’images et d’émotions nues, le cœur bruissant de murmures et de crissailles, en réserve, baignant dans le liquide glauque, saboté de complexes charnels et cérébraux, l’enfant ouvre son nombril lécheur d’embrouilles, hoquette, l’écume au bord de sa langue affolée, riant déjà de la sotte et bête nature humaine. Rempli d’espérance et autres rêves enfin, sans nuance, le petit être s’ouvre au monde, voit encore plus loin, pas de risque, rien, dessine sur les parois d’étranges formes animales, encre le vélin, reliures à pleine peau parchemin, lèche le rebord de la cordiale beauté maternelle, taillade sa langue sanguine, palpeur rubicond, forge son caractère dans plus grand que lui, puis bêle quelques sons en cadence exaltée, car mouton va là où on le pousse d’emblée. Les yeux de l’enfant, pierres noires sous filet de peau, s’ouvrent un instant dans la glaire chaudasse. L’avorton imagine sa naissance, en éclosion glissante dans l’étreinte du passage, spasme de rejet, prout. Entre deux injections, héroïne valeureuse, faut le dire, la mère joyeuse scelle son destin, suture sa veine, enfouit l’enfant en elle, très profondément, creux, là où l’écho résonnant a peur de dire tout haut ce que l’enfant crie tout bas en poussant sur le ventre clos… »

X. revient.

– Qu’est-ce qui est arrivé avec l’héroïnomane ? je lui demande.

– Elle s’est fait avorter.

Ses yeux s'emplissent de larmes.

– Toi ? je fais.

Elle me regarde fixement. Il m’est facile de comprendre.
_________________________

lundi 24 décembre 2018

Fouilles - Clef de seule

Petit texte poétique écrit dans Fouilles (Pierre Rousseau, 1990?):

La femme, fine feuille et oreille fine, blanche unité de corps et d’esprit, est partie, portée ailleurs d’ici. Finie la rengaine, finies les fausses notes. Adieux misogynes et autres politesses rondes. Voilà les intervalles fins, secondes plus que jours, voilà la mesure impaire à sept temps, pour l’homme laissé vacant.

La femme va aux chants, musique au nombril sans éthique, ventre allant tambour battant. Elle renonce à la partition, aux feuilles aux rayures stridentes, tourne la clef, fait scission et partage, bat la mesure à vif, joue faux, pour l’homme laissé incompris.

La femme cueille les morceaux et les fragments, avant de virer l’homme à tout bout de chanson, pour changer d’air qu’elle dit. Elle orchestre en clair, net fado et mélopée, devient chanteuse aléatoire sur les pistes de la vie. L’or se gonfle sous sa poitrine. Les attendrissements pernicieux brillent pour l’homme échafaudant son avenir à même les refrains de celle qu’il aime.

La femme prend un temps mort, une pause silence, maintient de secrètes réticences, bat la mesure des gestes perdus, stagne d’épuisement poétique, tourmente la  langueur, s’ancre sur le sol, retient la sonorité des mots, couchée sur le dos, sans contre-ut, épave intacte sur une portée déserte.
________________________________

dimanche 23 décembre 2018

Sciences et techniques - Graphologie

Le médecin consulté semblait très intéressé par les découvertes du docteur Barry Sears sur le régime anti-inflammatoire, fustigeant même les pratiques de la médecine traditionnelle et tentant, par la même occasion, de me convaincre des bienfaits de ce régime.  Il me suggéra des lectures dont il griffonna les titres sur un bout de papier. Mais si, en voyant l'écriture acérée de cette personne, je compris sa mauvaise humeur, je ne fus pas plus instruit sur la véritable cause de ce quasi-emportement qui allait bien au-delà de l'apologie de cette théorie.

____________________________

samedi 22 décembre 2018

Poésie - Monde pourri

Monde pourri (Pierre Rousseau, 2003)

S’essuyer au banal mystère des autres
Se stériliser le jugement
Se grandir le bénévolat
Se châtier les devoirs moraux
S’oindre de bonnes grâces
Se détremper la couleur locale
S’huiler la charité bien ordonnée
Se vidanger l’aigreur
Se polir de bonnes vertus
Se lubrifier la fausse modestie
Se désinfecter les droits humains
S’éteindre les fols espoirs
S’astiquer les oreillettes du cœur
Se lisser le nombril sec
Se parfaire la bonne conscience
Se ponctionner l’amertume fielleuse
Se poncer la servilité
Se raboter l’amateurisme
Se drainer le col académique
Se désinfecter l’amour-propre
S’irriguer le court colon
Se curer l’introspection
Se saigner le blanc des yeux
Se chauler les parasites cérébraux
Se tamponner la pollution nocturne
Se formoler le succès
Se biner la fleur de l’âge
Se frotter le mauvais pli
Se retoucher l’autoportrait
Se remodeler les membres honoraires
S’imbiber de naïveté fine
Se pasticher l’originalité
Se soigner le ready-made
Se lécher la plaie corporative
Se ramollir la croûte
Se recoudre l’ouverture sur le monde
Se vernir le discernement
Se lustrer le sourire doucereux
S’éponger les muqueuses anales,

Et, ultimement, au fin fond du bol,
Faire appel au service d’assainissement
Avant de se laisser choir, gracieuse masse,
Sur le banc des offices culturels,
Puis, lestement, tirer la chasse,
Afin de rejoindre ceux qui se ressemblent
Sans crainte, ni fielleuse redondance,
Car la vie sait, de sa main maîtresse,
Envers et contre tous,
Artistiquement et proprement, 
Se torcher toute seule.
________________________

vendredi 21 décembre 2018

Les beaux naufrages - La mort

Je retravaillais fréquemment mes textes. Voici un exemple pour Les beaux naufrages.

Extrait de Les beaux naufrages Version 1 (2003):

«Madame Joly me tire par la main. Claudine nous précède dans l’escalier qui mène à l’appartement grand comme un mouchoir de poche, mais propre. Une forte odeur de fond de pot de tapioca flotte dans l’air. Sur le bahut, de petites pierres de toutes les couleurs ont été collées sur des bouteilles de vin et des plantes sèches comme des allumettes mises dedans. Claudine prend sa mère par la taille et appuie sa tête sur son omoplate, se fixe à celle qui, elle l’espère, ne la laissera pas tomber. Louise a mis une petite robe semblable à celle de sa fille, aux couleurs vives et aux motifs audacieux, comme des cris de désespoir. Elle n’a pas lié ses longs cheveux noirs, ne porte aucun bijoux. Une contestation au bien-fondé du malheur, un dépouillement étudié, une absence d’éclats trompeurs. Même ses yeux ne brillent plus. Elle se prépare à aller voir son fils Patrice, au salon funéraire. Elle ne pleure plus. Il est plus effrayant de penser à la mort à venir que de voir son résultat, de toucher son accomplissement, c’est-à-dire l’immobilité dans tout ce qu’elle a de figé. Un coup de vent s’engouffre par la porte laissée entrouverte. Quatre feuilles s’envolent d’un bahut et tombent en cascade sur le tapis, presque à mes pieds. Je ramasse les feuillets de musique, des portées vides, comme si toutes les notes avaient été balayées sous le tapis.»

«Nous nous rendons au salon funéraire avant l’heure officielle d’ouverture. Au poignet du jeune homme étendu dans le cercueil, une montre flasque sur un poignet de laine. Arrêtée à 10 h 10. Les bras ouverts. L’accueil. Où 2 h 50, l’heure exacte d’une mort subie. L’heure de se prendre en main et de s’étendre droit debout avec les pendus de Villon, là où on ne sera plus jamais seul pour assister au combat ultime entre la pureté et la mort. Une journée de perdue est une journée où rien de précieux ne nous prépare à la mort d’un être cher. Un morceau de bonheur, un regard plein de tendresse, une main tendue, un « J’t’aime bien, tu sais », le vent sur les herbes hautes, un chat qui dort, un rire d’enfant, même une chanson grivoise.»


Extrait de Les beaux naufrages Version 5 (2004):

«Madame Joly prend ma main et Claudine nous précède dans l’escalier menant à appartement grand comme un mouchoir de poche, mais tout propre, où elle loge avec sa mère. Une forte odeur de fond de pot de tapioca flotte dans l’air. Sur le bahut, de petites pierres de toutes les couleurs ont été collées sur des bouteilles de vin et des plantes sèches comme des allumettes mises dedans. Un bricolage d’enfant. Claudine prend sa mère par la taille et appuie sa tête sur son omoplate, se fixe à celle qui, elle l’espère, ne la laissera jamais tomber. Louise tient sa main posée sur le combiné du téléphone. Ses épaules tressautent. Elle pleure. J’allais toucher délicatement son épaule, comme je ferais à une sourde pour attirer son attention, lorsqu’elle se retourne brusquement. Elle est effondrée. Ses yeux sont cernés, sa peau crayeuse. Elle me serre contre elle. S’écartant un peu, elle me regarde avec des yeux enflammés d’angoisse : « Mon fils, je ne sais pas comment vous dire… » Elle émet une plainte qu’elle étouffe en enfouissant sa tête dans le creux de mon épaule. Elle a un haut-le-cœur et va vomir dans la salle de bain. Claudine me regarde d’une bien étrange façon. Elle me sourit timidement, cherche peut-être en moi un réconfort que je suis bien en peine de lui donner. Revenue dans la pièce, Louise touche mon bras. Elle ne pleure plus, mais son visage est aussi blanc que l’essuie-mains avec lequel elle éponge ses lèvres. Elle se prépare à aller voir son fils, Patrice, au salon funéraire. Pour la circonstance, elle a mis une petite robe semblable à celle de sa fille, aux couleurs vives et aux motifs audacieux. Des cris de désespoir. Elle n’a pas lié ses longs cheveux noirs, ne porte aucun bijou. Une contestation au bien-fondé du malheur, un dépouillement étudié, une absence d’éclats trompeurs. Même ses yeux ne brillent plus. Il est plus effrayant de penser à la mort à venir que de voir son résultat, de toucher son accomplissement, c’est-à-dire l’immobilité dans tout ce qu’elle a de plus figé. Je voudrais apaiser sa douleur, donner verbe aux encouragements qui bouillonnent dans ma tête, mais je m’embarrasse encore de contraintes. « Quelle tristesse ! » dit madame Joly, en passant sa main sur la tête de Claudine. Louise éponge son visage de plus en plus couleur de terre grasse, avant d’aller vomir de nouveau. Un coup de vent s’engouffre par la porte laissée entrouverte. Quatre feuilles de musique s’envolent du bahut et tombent en cascade, à mes pieds. Je ramasse les feuillets, des portées vides, comme si toutes les notes avaient été balayées sous le tapis.»

«Nous nous rendons au salon funéraire avant l’heure officielle d’ouverture. Une montre enserre le poignet du jeune homme étendu dans le cercueil. Arrêtée à 10 h 10. Les bras ouverts. L’accueil. Où 2 h 50, l’heure exacte d’une mort subie, le moment de se prendre en main et de s’étendre droit debout avec les pendus de Villon, là où on ne sera plus jamais seul pour assister au combat ultime entre la pureté et la mort. Une journée où rien de précieux ne nous prépare à la mort d’un être cher – un regard de tendresse, une main tendue, un « J’t’aime, tu sais », le vent dans les cheveux, un chat sur des genoux, un rire d’enfant, même une chanson grivoise – est une journée de perdue.»


De grands ajouts ont été faits au premier paragraphe de la version 5 (en jaune):

«Madame Joly prend ma main et Claudine nous précède dans l’escalier menant à appartement grand comme un mouchoir de poche, mais tout propre, où elle loge avec sa mère. Une forte odeur de fond de pot de tapioca flotte dans l’air. Sur le bahut, de petites pierres de toutes les couleurs ont été collées sur des bouteilles de vin et des plantes sèches comme des allumettes mises dedans. Un bricolage d’enfant. Claudine prend sa mère par la taille et appuie sa tête sur son omoplate, se fixe à celle qui, elle l’espère, ne la laissera jamais tomber. Louise tient sa main posée sur le combiné du téléphone. Ses épaules tressautent. Elle pleure. J’allais toucher délicatement son épaule, comme je ferais à une sourde pour attirer son attention, lorsqu’elle se retourne brusquement. Elle est effondrée. Ses yeux sont cernés, sa peau crayeuse. Elle me serre contre elle. S’écartant un peu, elle me regarde avec des yeux enflammés d’angoisse : « Mon fils, je ne sais pas comment vous dire… » Elle émet une plainte qu’elle étouffe en enfouissant sa tête dans le creux de mon épaule. Elle a un haut-le-cœur et va vomir dans la salle de bain. Claudine me regarde d’une bien étrange façon. Elle me sourit timidement, cherche peut-être en moi un réconfort que je suis bien en peine de lui donner. Revenue dans la pièce, Louise touche mon bras. Elle ne pleure plus, mais son visage est aussi blanc que l’essuie-mains avec lequel elle éponge ses lèvres. Elle se prépare à aller voir son fils, Patrice, au salon funéraire. Pour la circonstance, elle a mis une petite robe semblable à celle de sa fille, aux couleurs vives et aux motifs audacieux. Des cris de désespoir. Elle n’a pas lié ses longs cheveux noirs, ne porte aucun bijou. Une contestation au bien-fondé du malheur, un dépouillement étudié, une absence d’éclats trompeurs. Même ses yeux ne brillent plus. Il est plus effrayant de penser à la mort à venir que de voir son résultat, de toucher son accomplissement, c’est-à-dire l’immobilité dans tout ce qu’elle a de plus figé. Je voudrais apaiser sa douleur, donner verbe aux encouragements qui bouillonnent dans ma tête, mais je m’embarrasse encore de contraintes. « Quelle tristesse ! » dit madame Joly, en passant sa main sur la tête de Claudine. Louise éponge son visage de plus en plus couleur de terre grasse, avant d’aller vomir de nouveau. Un coup de vent s’engouffre par la porte laissée entrouverte. Quatre feuilles de musique s’envolent du bahut et tombent en cascade, à mes pieds. Je ramasse les feuillets, des portées vides, comme si toutes les notes avaient été balayées sous le tapis.»

À peu de chose près, le deuxième paragraphe est resté tel quel.

___________________________

mercredi 19 décembre 2018

Caducités - Élucubrations doucereuses

Dans Caducités (Pierre Rousseau, 2001), voici mes élucubrations parfois saugrenues (et non revisitées) sur la DOUCEUR.


La douceur de vivre 

La douceur de vivre (La dolce vita), film italo-français réalisé par Federico Fellini et sorti en 1960.

__________

Combien j’ai douce souvenance

Combien j’ai douce souvenance, de François-René de Chateaubriand:

Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance !
Ma sœur qu'ils étaient beaux les jours
De France.
Ô mon pays, sois mes amours,
Toujours.

Te souvient-il que notre mère,
Au foyer de notre chaumière,
Nous pressait sur son cœur joyeux,
Ma chère,
Et nous baisions ses blancs cheveux,
Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore ?
Et de cette tant vieille tour
Du More,
Où l'airain sonnait le retour
Du jour.

Te souvient-il du lac tranquille,
Qu'effleurait l'hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
Mobile
Et du soleil couchant sur l'eau,
Si beau.

Te souvient-il de cette amie,
Tendre compagne de ma vie,
Dans les bois en cueillant la fleur
Jolie ?
Hélène appuyait sur mon cœur
Son cœur !

Oh ! Qui me rendra mon Hélène,
Et ma montagne, et le grand chêne ?
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine,
Mon pays sera mes amours
Toujours !

__________

Une femme tuée par la douceur

Thomas Heywood écrit cette pièce en 1607: Une femme tuée par la douceur. (A woman killed with kindness).

__________

Le guide de la survie douce

La douceur est avant tout littérature : Vivre en pleine nature : le guide de la survie douce, de François Couplan.

__________

La douce

La douce, de Dostoyevski. Arrabal rendit un hommage à Dostoievski en écrivant Une tortue nommée Dostoievski, idée que lui avait inspirée le Crocodile de Dostoievski. «Liska se déshabille. Elle est nue : elle est Ève.» 

__________

L’ouragan doux - éternitextes

L’ouragan doux - éternitextes, de Claude Péloquin, auteur, poète, interprète, scénariste et réalisateur. Montréal, 26 août 1942

__________

Cette douce certitude du pire

Cette douce certitude du pire, par deux psychanalistes «résolument à contre-courant de l’air du temps».

__________

Le grand méchant doux

Le grand méchant doux, de Hervé Bazin. La charrette de fumier contre la Jaguar. Le jet de boue contre la robe de mariée. «L’ange est ondoyé de fange» Doux loup, doux loup, St-Tropez !

__________

Le viol d’une jeune fille douce

Le viol d’une jeune fille douce, de Gilles Carles.

__________

Mon doux royaume saccagé

Mon doux royaume saccagé, d’Arrabal.

«Mes règles, à mon âge, tous les mois, comme du papier à musique...heureusement que le comte Dracula n’a pas de château dans ses pénates... je perds une telle quantité de sang qu’il pourrait assouvir sa soif pendant au moins une semaine.»

__________

Le doux mal

Le doux mal, d’Andrée Maillet.

__________

Doux-amer

Doux-amer, de Claire Martin.

«Je l’ai aimée durant douze ans» ; doux ans ; «je sais bien que dix ? ? ? ans d’amour, cela n’est plus très exaltant.» Amers ans !

__________

La douceur de vieillir

La douceur de vieillir, de Maurice Goudeket.

Qu’y a-t-il de coquet dans la vieillesse ? «[...] honorer en moi la vie jusqu’à son dernier résidu et, ne m’en resta‑t‑il qu’une étincelle, la traiter encore en flamme sacrée !» C’est la dernière phrase du livre. Tout fini, même les bonnes résolutions. Son plus impérieux devoir : la recherche du bonheur de bonne heure, c'est-à-dire trop tard.

__________

La douce et sainte mort

La douce et sainte mort, de Jean Crasset.

__________

Aujourd’hui, tout est doux

Aujourd’hui, tout est doux : médecines douces pour ne pas se faire mal, énergie douce des thérapies naturelles, contraception douce, gymnastique douce... À croire qu’avant, tout n’était que violence !

__________

Violence

Avant j’étais violent. Maintenant que je ne le suis plus, je ne suis pas plus doux pour autant. Je garde l’œil ouvert et le poing fermé. Tous les hommes n’ont pas changé. Bien que quelques femmes... 

__________

L’hymne au logis ! ! !

J’étudie la limnologie. Je veux réussir en eaux douces l’élevage d’invertébrés dulcaquicoles. Pour mieux comprendre l’univers des humains. Un peu d’huile douce avec ça ? L’hymne au logis ! ! !

__________

Sonatine pour flûte douce

Sonatine pour flute douce (dessus) et piano / Georges Migot.

__________

La douceur du regard de Cléo de Mérode  

La douceur du regard ? La belle Cléo de Mérode fut la dernière folie d’Edouard Marchand. Il fait 1901. Danseuse étoile de l’Opéra sur pointes et en tutu classique, elle dansera au music-hall. L’évènement remua les susceptibilités. Cléo de Mérode saura chanter les obscénités et les grivoiseries. «Le seul endroit à Paris qui pue aussi délicieusement le maquillage des tendresses payées.» dit J -K Huysmans. Folie des corps, plaisirs des mâles, vapeurs d’alcool, tout pour les vertiges. Cléo de Mérode, la «scandaleuse» de la Belle Epoque,mourr en 1966, l’année même de Walt Disney, le père de Mickey et d’André Breton, le pape du surréalisme. Sa garde-robe, riche de 221 numéros, avec de très belles pièces de Doucet, son couturier favori, ne lui servira plus. Ses souliers de satin brodé à brides n’enserreront plus ses pieds, les cache-corsets ne serreront plus son corps. La demi-mondaine ne roulera plus sur la bicyclette érotique, au Bois-de-Boulogne. Adieu Proust et Mallarmé. [? ? ?I worked up Viereck gradually from relativey reasonable attack on England to extravagances which achieved my object of revolting every comparatively sane human being on earth. I proved that the Lusitania was a man-of-war. I dug up all the atrocities of King Leopold of Belgium, from mutilated niggers in the Congo to Cléo de Mérode and Anna Robinson. I translated atrocity, not merely into military necessity, but into moral uplift. I put haloes on the statue of von Hindenburg with his wooden head and his nightgown of tintacks. But (on the whole) I took few chances of letting the Germans perceive the tongue in my cheek. (THE CONFESSIONS OF A L E I S T E R C R O W L E Y) ? ? ?]

Mérode (Cléopâtre Diane, dite Cléo de) (Paris, 1875 ­ id., 1966), danseuse française; célèbre pour sa beauté, son esprit et la liaison qu’elle entretint avec Léopold II de Belgique.   © Hachette Livre, 1995

__________

Douce certitude

Je perçois en toute femme cette douce certitude du malheur qu’on appelle par de timides signes de la main ou par des regards pourlècheurs de larmes.

__________

Folie douce et douce folie

Folie douce ou douce folie, ce n’est pas la même chose. La première rend compte d’un fait ; la deuxième, d’une présomption.

__________

Les aveux les plus doux...

Les aveux les plus doux font les secrets les plus vulnérables. C’est une mesure que j’ai bien rabattue. Et même battue.

__________

L’air est doux

L’air est doux. C’est une de mes compositions !

__________

Rares : Premier jour de l’an 

Rares : Premier jour de l’an : «Doux baisers de Juda» (moeurs parisiennes) ® YGT6
® Traité de la componction... YBV25

__________

La douceur dans la pensée grecque (en traitement...)

_______________________________________

mardi 18 décembre 2018

Lieux littéraires - Le Sofa

Dans mon journal:
29 septembre 1998 au Sofa rue Rachel pour lancement de « La religion cathodique » Intouchables.



Extrait de la critique de La religion cathodique (Michel Brûlé, Éd. Les Intouchables, 1998), par Sylvain Houde, le 7 octobre 1998, dans VOIR:

«Malgré son lot de bonnes intentions, ce scénario apocalyptique de pacotille, qui a les ambitions d’un crachat terroriste, se révèle finalement postillons d’une mascarade de république bananière.» Ouf!
_____

Le Sofa Bar est le mythique local en coin du 451 Rachel Est.



Petite histoire partielle du Sofa (sur FACEBOOK):

Sofa Bar
24 décembre 2010 · 
Zut! Pour des raisons hors de notre contrôle, le Sofa doit malheureusement reporter son ouverture officielle de quelques semaines. La soirée du 31 décembre est donc annulé. N'ayez crainte cependant...le Sofa sera prêt à vous recevoir très bientôt! À suivre...
_____

Sofa Bar
21 janvier 2011 · 
Tel un phénix qui renaît de ses cendres, l'incontournable Sofa est de retour! Revu et amélioré, le Sofa vous ouvre ses portes mardi le 25 janvier dès 20h00 pour une soirée toute spéciale réservée aux amis et aux gens de l'industrie.
_____

Sofa Bar
13 février 2011 · 
Grande réouverture du Sofa ce mardi le 15 février dès 19h00!
_________________________

lundi 17 décembre 2018

Littérature française - Le grand Meaulnes

Jean Ferrat, un des mes chanteurs préférés à l'époque (fin des années 60), fait un clin d’œil à Alain-Fournier, l'auteur de Le Grand Meaulnes, dans la chanson «La jeunesse»:

     «Quand tu seras ému devant leur joie de vivre
Devant leur soif d'amour quand tu auras pleuré
Pour un Alain-Fournier vivant le temps d'un livre (...)»


Alain-Fournier, Le grand MeaulnesJeunesse Pocket 1963
Photo: Pierre Rousseau - © 2018
Archives Pierre Rousseau

Mais Le Grand Meaulnes est le seul livre dont je n'ai jamais fini la lecture, même si je l'ai recommencé trois fois. Et je ne sais pas pourquoi.

Mais je connais la fin, puisque j'ai vu le film (Le Grand Meaulnes, 1967).

________________________

dimanche 16 décembre 2018

Les beaux naufrages - La mort

Extrait de Les beaux naufrages (Version1, 2003):

J’oublie ce rêve aussitôt, comme un coup de vent chasse un nuage de brûlots. Le soleil levant éclaire le pied de mon lit. C’est rose comme le mamelon d’une fille pâle. Je m’étire. Ma colonne vertébrale craque comme un vieux plancher de bois franc. Je déteste ce pétillement des os. Dans l’autre lit, V. fait semblant de dormir. Il fait craquer les jointures de ses dix doigts, une par une. Il est souvent méchant, comme un enfant qui s’ennuie. Pas besoin de me rappeler outre mesure que je porte en moi la mort, des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre à langueur de jour. C’est la mort qui me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin. « Il n’y a pas de petite vie, juste un voyage un peu plus inconfortable » dit V. quand je lui parle de ma crainte de la mort.

Dans la Version 5 (2004), j'écrivais:

J’ouvre lentement les yeux, comme on s’éveille d’une sieste d’après-midi. Le soleil levant éclaire les renflements de mes pieds sous les couvertures. C’est rose comme les mamelons d’une fille pâle. Je m’étire. Ma colonne vertébrale craque de tout son long, un pétillement d’os, comme un écrasement d’insecte. Dans l’autre lit, Raoul fait craquer les jointures de ses dix doigts, une par une. « Tu fais exprès, hein ? » je lui dis. Il ne répond pas. Il est quelques fois méchant, comme un enfant qui s’ennuie. Il n’a pas besoin de me rappeler que je porte en moi des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre, que la mort me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin, et qui me frappera le moment venu, comme on frappe un os. Les os ont une grande importance dans ma vie et il le sait. Pas pour les collectionner, mais pour ne jamais en voir. Que ce soit un os humain ou un os d’animal. Ça me met très mal à l’aise.

Je préfère la Version 5, entre autres cette phrase:

V1: «Ma colonne vertébrale craque comme un vieux plancher de bois franc. Je déteste ce pétillement des os.»

V5: «Ma colonne vertébrale craque de tout son long, un pétillement d’os, comme un écrasement d’insecte.»

Et j'aime bien cette longue phrase qui finit comme un coup de couteau:

«Il n’a pas besoin de me rappeler que je porte en moi des os, un squelette entier, que je traîne mon ombre, que la mort me suit, légère comme un clin d’œil d’assassin, et qui me frappera le moment venu, comme on frappe un os.»

_________________________________________________